« Après le multicanal, place au… transcanal ! », Patrice Richard (président de SGDB France)
Un mois après le début du déconfinement, le n°1 de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France (SGDB France) jette un bref coup d’œil dans le rétroviseur, mais livre surtout un regard à 360° pour analyser les effets de la crise sanitaire et les évolutions à l’œuvre dans les huit principales enseignes du groupe. Son diagnostic ? Même sans contact ou à distance, le négoce ne doit pas devenir « désincarné ». Quant aux outils 2.0, voire 3.0, il y a une sorte d’alignement des planètes en cours.
• Reprise : une “fenêtre” de 7-8 mois
• L’envie de maisons individuelles et le syndrome de “la pièce en plus”
• Quand le back-office BtoB converge vers les modèles BtoC
• Collaborateurs et intelligence collective
• De nouveaux services on-line déconfinés
• Des agences encore plus incarnées
• La RSE comme levier prioritaire
UN RETOUR À LA NORMALE… PLUTÔT “PLUS” QUE “MOINS” !
Patrice Richard : Dès le 23 mars, nous avions rouvert dans un premier temps 50 % de nos agences. Avec une double responsabilité “écrasante” pour notre profession : bien sûr, sécuriser l’activité sans contact* afin de servir toute la filière. Il s’agit d’un choix de responsabilité ! Et pas seulement d’un choix… économique. Très vite, trois de nos huit enseignes – La Plateforme du Bâtiment, Cédéo et Point.P – ont repris du service : ce sont des enseignes au fonctionnement plus ou moins identique et dont le business model reste assez facile à confiner. Toute cette séquence a été gérée avec succès pour passer en mode 100 % drive ou livraisons directes grâce à nos outils back-office et digitaux dont nous avons pu tester la solidité. À titre d’illustration : le paiement à distance ou encore le prépaiement en ligne, mais aussi la préqualification de la visite en showroom [Décocéram l’a adoptée dès début avril]. Durant le confinement, l’autre instrument important qui a assuré l’agilité de nos équipes, concerne la gestion du crédit clients. Nous sommes notre propre assureur crédit. Nos équipes d’analystes crédit ont pu effectuer des bilans très personnalisés de la situation de nos clients en compte et les assister dans la jungle des aides proposées. Nous disposons aujourd’hui d’une ligne de plus de 1 Md€ de crédits accordés en interne à nos clients professionnels. Aujourd’hui [au 05/06/2020], nous sommes revenus à un niveau d’activité normal et rassurant. L’ensemble de la filière du BTP a accumulé un gros mois de retard – surtout chez les majors du secteur, alors que les TPE-PME ont quasiment toujours continué de travailler. Ce volume de travaux momentanément “perdu” devrait permettre d’alimenter l’activité pendant les sept ou huit prochains mois et, peut-être, plus longtemps que l’on ne peut l’imaginer. Avant le début de la pandémie de Covid-19, les carnets de commandes étaient bien remplis. À tel point qu’aujourd’hui, certaines de nos enseignes affichent un volant d’affaires supérieur à la normale.
* Dès le début de l’état d’urgence sanitaire, comme la majorité des acteurs du CAC 40, mais aussi des ETI et PME, le groupe Saint-Gobain a adapté ses outils industriels au service de la lutte contre la pandémie.
EN PHOTO • À l’instar d’autres CEO d’enseignes BtoB, le président de SGDB France depuis octobre 2010, Patrice Richard (23 ans de “maison Saint-Gobain” au total) a pris la parole auprès des 22 000 collaborateurs afin de les informer et de les encourager durant le confinement.
L’AMÉLIORATION DU LOGEMENT : LE “LA” DE LA REPRISE ?
P. R. : Si l’incertitude liée au report du 2e tour des élections municipales a pu questionner les acteurs de la commande publique, cela n’a que peu d’impacts sur le périmètre de SGDB France [délesté de Point.P TP depuis fin 2019]. Sur notre cœur de cible (la rénovation des logements), il y a une demande forte des particuliers pour améliorer leur habitat. À titre d’exemple, entre le 17 mars et le 31 mars dernier, LaMaisonSaintGobain [plateforme d’inspirations et d’intermédiation BtoCtoB] a enregistré un saut de 3 millions à environ 7 millions de visiteurs uniques : un score porté par l’intérêt des Français pour la fameuse “pièce en plus”… La séquence du confinement devrait logiquement soutenir les démarches de rénovation auprès des ménages, tout comme la demande en maisons individuelles.
POUR TENTER DE RATTRAPER LE RETARD…
P. R. : Dès à présent, l’ensemble de nos réseaux sont désormais ouverts aussi le samedi et les jours fériés. À la demande d’une majorité de nos clients, nous allons renforcer notre dispositif en août. C’est une façon d’accompagner la reprise de la filière, mais aussi de rester réactif sur nos marchés. La mise en œuvre de ces dispositifs d’ouverture a fait l’objet d’un large dialogue social en interne. La direction de SGDB France, la DRH et les instances représentatives du personnel ont échangé en permanence sur ce dossier. Le but était que chacun des 22 000 salariés soit à bord et en phase avec cette politique pendant tout le confinement et encore plus depuis le 11 mai. Nous avons d’ailleurs préparé quinze jours en amont la phase du déconfinement. Quant au recours au chômage partiel, nous étions quasiment proches de zéro tout début juin. D’ici à la fin du mois, tous les effectifs seront à nouveau opérationnels à 100 %.
FOURNISSEURS : VIGILANCE SUR LES RÉAPPROS
P. R. : Nous continuons de travailler de façon étroite avec nos fournisseurs et souhaitons capitaliser sur nos partenariats. Que ce soit pendant le confinement ou après, notre règle a toujours été de ne pas rompre la chaîne de relation avec notre amont et les payer en temps et en heure. Nous avons même renforcé les liens avec eux en termes d’informations sur nos stocks, les prévisions de ventes, etc. Au début du confinement, les stocks des agences alors encore fermées ont été systématiquement transférés vers les points de vente opérationnels. Depuis début mai, certains de nos réseaux sont confrontés à des ruptures de stock qui, chez certains fournisseurs, ont pu être multipliées par… six. Nos stocks centraux* ont heureusement permis de compenser les éventuelles ruptures de stock côté fabricants. En termes de gestion des stocks et d’exploitation, cela nous coûte un peu plus que d’habitude. C’est d’ailleurs un point de vigilance pour chacune de nos enseignes. Il faut veiller à conserver toutes nos marges de manœuvre pour proposer une disponibilité sans faille sur tous nos assortiments. C’est un facteur essentiel pour accompagner la reprise sur les chantiers.
* En Seine-et-Marne, SGDB-France a investi l’an dernier 10 M€ pour agrandir son hub logistique automatisé de 60 000 m². Le site gère environ 40 000 références pour toutes les enseignes du groupe et complète un dispositif de 7 stocks centraux servant la filiale DSC (branche Sanitaire-Chauffage-Plomberie).
EN PHOTO • À Brie-Comte-Robert (77), au sud-est de Paris, le pôle Distribution Bâtiment de Saint-Gobain a parachevé l’an passé la transformation logistique de sa plateforme multi-enseignes pour approvisionner les quelque 2 000 points de vente du groupe. Ce chantier a permis aussi d’élargir le plan d’assortiment « des petits produits qui voyagent facilement » : l’outillage, la quincaillerie, la chimie du bâtiment et l’électricité.
VISION CONVERGENTE DES OUTILS EN BACK-OFFICE
P. R. : Sur ce plan-là, il n’y a pas de révolution ! En revanche, toutes les évolutions déjà enclenchées dans nos enseignes se sont confirmées avec l’état d’urgence sanitaire. À commencer, bien sûr, par la digitalisation du parcours client. Chez SGDB France, l’activité E-commerce a été multipliée par six durant le confinement. Sa part est montée jusqu’à 90 % à La Plateforme du Bâtiment [une enseigne dont Patrice Richard a été le DG durant huit ans]. Après avoir développé les différents canaux de vente (agences physiques, centres d’appels, web, applis) qui répondent aux différents moments de vie des professionnels, il faut désormais harmoniser encore plus tous ces points de contact que nous avons d’ailleurs continué d’enrichir depuis mi-mars comme je l’indiquais tout à l’heure [prépaiement en ligne, préqualification des visites clients]. Pour faire converger tous ces outils, nos DSI ont commencé à y déverser tous les contenus de nos CRM. Et autour de nos ERP, les efforts se focalisent sur deux axes : développer encore plus de datas (clients, produits…) et du service en temps réel. En parallèle, nous avons commencé à travailler en open data avec les fournisseurs pour l’ensemble de nos stocks et sorties de caisses [à l’image de la grande distribution]. Nos équipes de data-scientists se concentrent désormais sur l’analyse prédictive des ventes.
EN PHOTO • Convergence des schémas back-office du négoce et de la grande distribution alimentaire ou des enseignes de Bricolage ? Le n°1 de SGDB France et ses équipes en sont convaincus. « Nous disposons de la taille critique suffisante pour mettre en place ces outils afin d’améliorer encore notre productivité commerciale », estime d’ailleurs Patrice Richard – d’autant que la récente cession de Sika apporte au groupe 2,41 Md€ d’argent frais (vs un achat de 933 M€ en mai 2018).
RELATION CLIENTS : L’OBSESSION DES PARCOURS SANS COUTURE
P. R. : Toute cette mécanique back-office (ERP, CRM, big data…) est au service de nos forces de vente que nous équipons d’outils encore plus puissants. Le confinement nous a obligés à repenser l’organisation des tournées de nos ATC. Chez Cédéo, Clim+ et CDL Élec, les plannings des visites clients se partagent désormais entre des rendez-vous de visu et d’autres téléphoniques. Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle de conseils et la relation humaine liés au commerce. En revanche, la force de vente doit pouvoir disposer maintenant d’un cadre le plus ouvert possible. D’ailleurs, tous les “petits pas”* de notre démarche Ambition 2025, nous en avons vu le plein effet durant la crise du Covid-19. Dans six ou douze mois, la conjoncture dans le Bâtiment ne sera pas forcément plus simple qu’aujourd’hui. J’estime que la plus grande résolution qu’a prise le Comex a été de prioriser nos chantiers internes durant le confinement. Aujourd’hui, la RSE [responsabilité sociétale des entreprises] est sur la première marche du podium. Dans notre écosystème, plusieurs leviers sont actionnés. Par exemple, en matière de formation et de montée en compétence avec la communauté Génération Artisans et son nouveau Pack Jeune Artisan. Il faudra sans doute aussi que les artisans du Bâtiment collaborent encore plus entre eux via le BIM (maquette numérique) et travaillent à terme en open data. Dans cet esprit RSE, Olivier Royer, le directeur général d’Asturienne, va développer des actions de formation pour les couvreurs pour éviter un “appauvrissement” de la filière Couverture. À propos d’économie circulaire si notre rendez-vous prévu à Deauville avec nos partenaires courant juin est reporté au mois de mars 2021, nous poursuivons les échanges avec les industriels en matière d’emballages et de palettes éco-responsables. Enfin, en termes de transition et de rénovation énergétique, l’instrument des CEE reste “la” priorité.
* En référence à « la démarche de vision partagée » souhaitée par la direction de SGDB France afin de « coconstruire [son] futur à 10 ans ».
EN PHOTO • Innover, penser client, mais aussi collaborateurs comme jamais… « Si tout n’est pas noir, tout n’est pas rose non plus ! Nous maintenons le cap avec notre nouvel écosystème que la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer », confie Patrice Richard. Durant le confinement, une pléiade d’experts, mais aussi beaucoup de citoyens, auront appelé à “produire et consommer local”. « Notre sourcing lointain direct ne représente aujourd’hui pas plus de 2 % de nos achats », précise d'ailleurs le n°1 de SGDB France.