Des mots plus forts que le Covid-19 (de A à E)

Marc Wast
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Ce virus microscopique a quasiment mis le monde à genoux avec plus de 3 milliards d’habitants confinés lors du pic de la pandémie, et une économie globale quasiment au ralenti. Pour la France, l’activité semble vouloir enfin repartir avec la sortie du confinement. Au-delà de tous les obstacles rencontrés (c’est un euphémisme !) par les entreprises depuis deux mois, nous vous proposons un dossier spécial en 3 parties pour faire le tour des belles initiatives mises en place par les acteurs de la filière bâtiment. Un regard réellement optimiste, malgré l’adversité, qui permet d’envisager l’avenir sous un jour différent. Au cœur des entreprises, il y aura effectivement un avant et un après Coronavirus.

Voir le verre à moitié plein, ça a toujours été notre crédo chez Zepros. Néanmoins, la crise majeure et totalement inédite que traverse notre pays depuis le 17 mars 2020 pose un tel nombre de questions et met en évidence tellement d’incertitudes que même les meilleurs experts régulièrement consultés par notre gouvernement ne peuvent se prononcer de façon définitive sur ce que seront les prochains mois. Et sans oblitérer les réelles difficultés actuelles et à venir que notre pays va devoir surmonter “quoi qu’il en coûte”, au cours des quelque 30 interviews réalisés, nous avons échangé avec des interlocuteurs qui ont fait preuve d’un engagement sans faille pour essayer de limiter la casse financière et surtout sociale, et développé des trésors d’ingéniosité pour permettre une reprise de l’activité sous les meilleurs auspices. Nous profitons d’ailleurs de ces lignes pour les remercier chaleureusement de leur participation et avoir pris la peine de répondre à des questions parfois pas évidentes dans ce contexte précaire où ce qui est vrai un jour ne l’est pas forcément le lendemain…

Contrairement à d’autres secteurs d’activité qui vont rester en sommeil quelque temps pour les raisons connues de tous, la filière du bâtiment est une des premières à “reprendre vie” après plusieurs semaines de léthargie. Considérée comme essentielle dans notre économie, toute la chaîne de valeur de la construction et de la rénovation des logements est en cours d’adaptation aux nombreuses contraintes générées pour stopper la propagation du virus. Ce secteur peut être considéré comme la deuxième ligne après celle constituée par le personnel de santé et celui indispensable au bon déroulement de notre vie quotidienne. Il s’est donc mobilisé pour que tous les principaux acteurs (fabricants, distributeurs, CMistes, PME du bâtiment…) puissent reprendre une activité la plus compatible possible avec les nouveaux enjeux liés à la protection des personnes.

A… COMME AVANT

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De l’avis général, l’année 2019 fut un exercice réussi pour tous les corps d’état interrogés. À l'instar de l'isolation, celui du chauffage a certainement été le plus porteur grâce au “Coup de pouce” mis en place par le gouvernement qui permettait de proposer aux ménages les plus modestes de profiter d’un générateur neuf (chaudière ou pompe à chaleur) pour 1 €. Pour Régis Luttenauer, directeur de Vaillant Group France, « nous avons surperformé par rapport au marché (+82 %) dans le domaine de la PAC l’année dernière et la forte croissance s’est poursuivie pendant les premiers mois de 2020 avec un très bon +50 % pour les PAC et +20 % pour les chaudières. La confiance était donc largement de mise avant la mi-mars. »

Idem du côté de Griffon qui par la voix de son directeur, Jean-Philippe Salzedas, explique que « la stratégie mise en place depuis ces dernières années donne à plein avec une croissance à 2 chiffres confortée par un excellent +27 % arrêté au 15 mars ». Bien d’autres entreprises ont confirmé la grande forme du secteur que ce soit du côté des CMistes (Hexaôm visait le milliard d’euros cette année), que dans le secteur de l’isolation avec Recticel (spécialiste du P.U.) qui, après une augmentation en volume de 32 % en 2019, espérait rester sur la même lancée.

A… COMME APPROVISIONNEMENT

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Maillon indispensable de la chaîne de production, l’approvisionnement des industriels aurait pu souffrir largement de cette crise, et plus particulièrement depuis la Chine, qui reste le plus grand fournisseur du monde. Néanmoins, la filière bâtiment travaille en flux bien moins tendus que certains autres secteurs (automobile par exemple) et par conséquent, n’a pas subi de ruptures majeures. De toute façon, beaucoup de sites ont été mis temporairement en sommeil ou ont réduit leurs cadences du fait d’une chute de la demande logiquement compréhensible.

L’inquiétude pouvait également être de mise s’agissant des sociétés internationales dont certaines usines pouvaient se situer dans des pays également touchés par l’épidémie. Pour Laurent Mainy, DG de Edilteco, dont la maison-mère est basée en Italie, « par chance, Edilteco France n’est pas liée à la société transalpine et est très peu dépendante d’elle. Seules quelques matières premières viennent de là-bas (adjuvants) et, étant donné la situation, nous avons anticipé en prévoyant de très gros volumes que nous gardons en stock ».
Mais les choses n’ont pas été toujours roses puisque pour Lorenzo Mannara (Armstrong Ceiling Solutions), « notre activité est également impactée par nos fournisseurs de matières premières (acier, bois…) mais il n’y a pas de sujet particulier, pas de goulot d’étranglement de ce côté-là ».

« En accord avec notre siège en Allemagne, nous avons choisi une organisation pragmatique », note Jos Lenferink qui pilote entre autres la filiale Veka France. Et pour garder le contact avec le terrain, mais aussi avoir des feed-back sur le niveau des affaires, le concepteur-gammiste organise des webinars réguliers avec ses clients. En amont, il a d’ailleurs redoublé de vigilance pour pouvoir garantir ses approvisionnements. Sa seule crainte à ce jour ? « Des risques de rupture auprès d’un fournisseur italien qui alimente les process de coloration des profilés. Mais il existe des alternatives et nous disposons encore de deux mois de stock », calcule le dirigeant.

VITE DIT…
« Nous nous approvisionnons à 200 km alentours de l'usine pour nos matières premières (…) les exploitations forestières fonctionnent toujours. Pour les panneaux de particules, nous avons un stock de matière première suffisant ». Vincent Adam (Swiss Krono)

B… COMME BIENVEILLANCE

« Cette période nous remet aussi en question de façon positive. Le monde du BTP allait peut-être trop vite ? La pause forcée fait du bien psychologiquement. Contre toute attente, l’état d’esprit est positif. On retrouve le sens de la communication. Les barrières hiérarchiques sautent, il y a davantage d’échanges et d’empathie. Paradoxalement, les interactions se sont accrues avec nos clients et nous sommes plus proches que jamais. Cela va même souder des liens dans la filière, y compris entre concurrents. Il y a de la solidarité en amont et en aval de la mission ».
Yannick Ainouche (Ex’Im)

C… COMME COUP DE FREIN

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Ce mot peut être, dans certains cas, être considéré comme un euphémisme. En effet, même si quelques entreprises avaient pris les devants, à l’instar de Recticel qui, « suite à des directives au niveau européen, nous avons mis en place le télétravail dès la fin février en gardant la même efficacité », explique Gérard Laurens, le directeur commercial, le franc ralentissement de l’activité économique s’est transformé, pour une majorité de sociétés, en un arrêt quasi total dès le 10 mars. Le temps d’appréhender toutes les conséquences de la décision gouvernementale de confiner entièrement le pays et de prendre toutes dispositions nécessaires pour la protection des personnes. Témoignages…

« Notre activité a été très fortement affectée dans trois pays où nous sommes présents, l’Italie, l’Espagne et la France, et un peu moins dans deux autres, l’Allemagne et la Pologne. Dans les trois premiers, des mesures très fortes de confinement de la population ont été mises en place, le chiffre d’affaires est tombé non loin de zéro à la fin du mois de mars. Il est légèrement remonté depuis, puisque nous sommes à 5 ou 10 % du CA normal en France, 20 % en Italie et un peu moins de 50 % en Espagne. En Allemagne et en Pologne, la situation est très différente puisque la gestion sanitaire est autre, avec un dépistage plus massif et un confinement sélectif, ce qui permet d’être à 75-80 % du niveau normal en Allemagne et même un peu plus en Pologne », Olivier Colleau (Kiloutou)

Et pour Yves Danielou, président de l’AFISB, « jusqu’à la première quinzaine de mars, l’année 2020 était bien engagée pour les industriels du secteur avec un chiffre d’affaires en forte croissance par rapport à la première quinzaine de mars 2019. La mise en place du confinement a été un véritable coup de frein, l’activité s’est écroulée. En moyenne, les différentes entreprises du secteur ont enregistré une baisse entre 70% à 80% de leur activité par rapport à l’année dernière ».

Chez le vendéen Hérige, Bruno Cadudal qui pilote le pôle Menuiseries (Atlantem) appelle la maîtrise d’ouvrage publique à prendre ses responsabilités. En fait, le “coronavirage” a chamboulé le temps du BTP – comme ailleurs. « Dans les grandes agglomérations, beaucoup d’équipes municipales d’avant le premier tour sont encore en place [5 000 mairies sur 35 000 concernées]. C’est un vrai problème car les travaux qui auraient pu être engagés sous la nouvelle mandature, sont bloqués pour l’instant », estime le Dg. Autant dire des décalages en rafale dans le calendrier des appels d’offres pour les entreprises générales, cémistes et promoteurs.

VITE DIT…
« Si tous les pays sont impactés, l’Europe du Sud (Italie, Espagne, France) est davantage touchée avec un arrêt brusque ». Lorenzo Mannara (Armstrong Ceiling Solutions)

LE CHIFFRE CLÉ
« Il est un peu tôt pour estimer l’impact. Mais il est d’au-moins 1,5 à 2 mois de chiffre d’affaires, ce qui est important. Tout dépendra de la reprise ».
Brahim Ammar (Jeumont Electric)

D… COMME DIGITALISATION

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Sans le numérique, le confinement aurait été bien plus compliqué à gérer. Si les zones blanches persistent sur certains territoires, la généralisation des boxes Internet a autorisé la décentralisation des tâches de presque tous les services des fabricants en un temps record. Certains ont même équipé leurs collaboratrices/collaborateurs des matériels indispensables pour pouvoir travailler dans les meilleures conditions. Au menu, connexions directes sécurisées aux serveurs des entreprises, réunions en “visio”, formations internes…

« Tous les postes administratifs et commerciaux ont été mis en home office sous 48 heures et l’intégralité des services fonctionne ». Lorenzo Mannara (Armstrong Ceiling Solutions)

« Nous avons arrêté l’activité et analysé les mesures à prendre. Tout d’abord le télétravail des salariés pour lesquels c’était possible avec la mise en place de serveurs informatiques dédiés. Aujourd’hui, tout est en place ». Brahim Ammar (Jeumont Electric)

« Pour nos techniciens à l’arrêt, ils ont tout d’abord finalisé tous les rapports qui étaient à faire. Ils ont ainsi épongé les éventuels retards. Puis nous avons mis en œuvre un plan de formation et de montée en compétence grâce à la diffusion de documents et à de l’enseignement à distance. » Yannick Ainouche (Ex’Im)

« En dehors de l’habituel travail collaboratif entre les différents services organisé via les outils digitaux, nous avons instauré une pause-café virtuelle le matin, un rendez-vous qui ressemble au regroupement autour de notre machine à café au bureau et qui permet des échanges variés et conviviaux. » Nadine Grard (Watts)

« Le recours quasi systématique aux nouvelles technologies pour garder le contact avec l’intérieur et l’extérieur a malheureusement mis en évidence la limite des capacités des réseaux. Toutefois, cette expérience démontre qu’il n’est pas obligatoire d’être absolument présent chez le client, par exemple. Les outils numériques existants (Teams, Zoom, Hangs Out…) autorisent une réelle interactivité pour continuer à travailler efficacement (réunions, formations, etc.). Une piste de réflexion qui mérite d’être explorer davantage pour l’après Covid. » Julian Stocks (Purmo Group ex Rettig Group)

Si les mesures de confinement ont à France Fermetures permis de « réactiver » son plan de poursuite d’activité (PCA), la PME limousine a aussi mis à profit cette période pour, entre autres, actualiser l’ensemble de ses fichiers clients. D’ailleurs, la filiale de SFPI qui a repris fin avril, va lancer la dématérialisation de toutes les factures plus tôt que prévue. « Le dossier devait être engagé au cours du 2e semestre initialement. Aujourd’hui, c’est l’un de nos quatre projets prioritaires de 2020 », confie le Dg, Arnaud de Seigneurens.

« Avec la crise sanitaire, une nouvelle chaîne de valeur s’est mise en place dans nos relations avec notre amont et l’aval, admet Bruno Cadudal, Dg d’Atlantem. Ce qui pouvait semble irréaliste hier, devient presque une convention : nous avons tous fait un fabuleux bond digital ! Et il en restera quelque chose de solide pour la suite. »

E… COMME ÉTAT DES LIEUX

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Chez Veka France, si le service logistique s’est poursuivi en mode ultra-sécurisé, la production de l’usine savoyarde (18 millions de mètres de profilés sur les 480 millions/an que produit le groupe familial allemand) n’a redémarré que le 23 avril. Une situation diamétralement opposée, par exemple, en Espagne. « Là-bas, les mesures de chômage partiel et d’accompagnement sont moins importantes. Avec des protocoles sanitaires stricts, notre usine de Burgos a poursuivi l’activité à hauteur de 70 % de son rythme habituel », note Jos Lenferink qui pilote les zones Europe du sud-ouest et l’Afrique du nord.
En Allemagne aussi, les usines de sa maison-mère ont continué de tourner normalement en mars. Sur avril, il devrait y avoir toutefois un ralentissement, car l’export commence à être impacté. Dans les sites polonais, le rythme se situe à 25-30 % de baisse de chiffre d’affaires. « En France, les entreprises ont pu bénéficier de l’amortisseur social de l’État. Le pays remontera-t-il la pente plus tardivement par rapport aux pays qui ont déconfiné plus tôt ? Nous verrons sans doute qui aura eu raison d’ici 12 à 18 mois… », confie-t-il.

Pour Bertrand Fougerouse (directeur marketing France et Iberia chez Wavin), « il y a quelques semaines l’impact de cette crise était catastrophique pour notre entreprise comme pour l’ensemble du secteur. Aujourd’hui, nous observons une montée en puissance progressive des différents acteurs. Nous constatons un léger regain de l’activité au niveau de notre chiffre d’affaires même si nous restons dans une situation très compliquée. Cet effort d’avoir une écoute fine du marché fonctionne. Il faudra patienter quelques mois pour voir l’activité totalement se relancer surtout que l’impact économique va être important. Il y a énormément d’initiatives qui se mettent en place de la part des organisations, des distributeurs, des industriels et des installateurs. De notre côté, en tant qu’industriel, nous veillons à produire et expédier nos produits afin de fournir les artisans pour les accompagner du mieux possible. »

Éclairage moins “politiquement correct” de la part de Philippe Boussemart (STO) qui explique : « Si tant de chantiers sont arrêtés actuellement, c’est aussi pour des raisons de responsabilité pénale. Les nombreuses questions que posent encore le corona virus n’incitent guère les patrons à demander la reprise du travail, d’autant que les EPI efficaces ne sont pas encore en nombre suffisant et les gestes barrières compliqués à mettre en place. La reprise devra passer d’abord par une confiance retrouvée ; je ne la vois pas pour le moment. »

Retrouvez dès demain la suite de ce dossier (de F à O) sur Zepros.fr.

Marc Wast
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