WorldSkills : que sont devenus les champions du BTP ?

Jérémy Becam
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“Jeux Olympiques” de l’artisanat, les WorldSkills sont l’occasion pour les apprentis de montrer l’étendue de leurs capacités. Quelques années après leur sacre, d’anciens médaillés racontent à quel point cette compétition a fait basculer leur vie professionnelle.
Comme l’équipe de France de football, sacrée championne du monde l’été dernier, l’équipe de France des métiers espère, elle aussi, briller en Russie. En effet, du 22 au 27 août prochains, 41 jeunes talents vont se mesurer à leurs homologues mondiaux à Kazan en Russie dans le cadre de la WorldSkills Compétition pour ramener le maximum de médailles. Mais, que sont les WorldSkills ? Il s’agit d’un concours international qui oppose des jeunes de plus de cinquante pays. Objectif : être le meilleur dans son métier. La compétition concerne surtout l'artisanat, mais elle s'ouvre aux nouveaux métiers, tels que le web design. Pour espérer participer à cette compétition, les candidats doivent franchir plusieurs étapes. D'abord les sélections régionales, puis nationales. Les médaillés d'or aux sélections nationales gagnent le droit de participer aux Worldskills l’année suivante. « L'idée est la même depuis que les Olympiades des métiers ont été créées au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L'idée était que, pour montrer l'intérêt de s'engager dans un métier, les jeunes sont les mieux placés, en s'adressant à d'autres jeunes au cours de compétitions qui valorisent leurs compétences, leur passion, leur excellence, comme le font les Jeux Olympiques dans le domaine du sport. Dans tous ces métiers, il s'agit de mettre en exergue des jeunes – âgés de moins de 25 ans au moment des compétitions internationales – qui pratiquent un métier dans l'excellence », explique Michel Guisembert, président du comité français des Olympiades des Métiers - Worldskills France.

Un boost de notoriété

Mais au-delà d’une médaille, quel impact a une victoire lors des WorldSkills pour un jeune ? Pour la plupart d’entre eux, cela offre une véritable publicité au sein de leur région. En effet, que ce soit lors des qualifications ou lors de la compétition, les représentants de l’équipe de France affichent toujours fièrement leur région d’origine et sont régulièrement relayés par la presse locale. D’ailleurs, il n’est pas rare que des particuliers ou des entreprises démarchent les jeunes artisans afin qu’ils mettent leur technique et leur expérience en application. De nombreux participants aux WorldSkills ouvrent leur propre entreprise par la suite pour répondre aux différentes sollicitations. D’autres en profitent également pour transmettre à leur tour tout le savoir et l’expérience qu’ils ont emmagasiné durant les longues semaines de préparation à la compétition en intégrant l’organisation WorldSkills France. Tous, en tout cas, recommandent cette expérience qui a, pour la plupart d’entre eux, changé leur vie professionnelle.

Thomas Landreau - 25 ans - Champions du monde WorldSkills Compétition Sao Paulo 2015 en carrelage

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Zepros : Pouvez-vous présenter votre parcours professionnel ?Thomas Landreau : Je possède un CAP Carreleur et un BP Carreleur-Mosaïste. Vu que je me démarquais un peu des autres élèves en cours, mon formateur m’a proposé de m’inscrire aux Olympiades des métiers, la première étape pour rejoindre potentiellement l’équipe de France WorldSkills. J’avais 16 ans à l’époque et je me suis présenté aux sélections régionales en Pays de la Loire. J’ai terminé troisième et j’ai pu me faire un premier aperçu de la compétition et de ce que les jurés attendaient de nous. Deux ans plus tard, je me suis réinscrit et j’ai fini deuxième. J’ai pris une véritable claque ce jour-là, car je pensais avoir les qualités pour terminer à la première place. À partir de ce moment, je ne voulais plus entendre parler de cette compétition. Mon formateur m’a finalement inscrit sans me prévenir pour les sélections régionales deux ans plus tard. C’était la bonne, puisque j’ai enfin terminé premier en 2014. Direction ensuite les finales nationales à Strasbourg où j’ai décroché la médaille d’or. Je suis ensuite parti à Sao Paulo défendre les couleurs de la France et j’ai terminé à la première place. Ensuite, j’ai souhaité voyager pour travailler à l’étranger, mais je n’ai pas trouvé mon bonheur. Je suis donc revenu dans ma région du Pays de la Loire au sein de l’entreprise où j’avais fait tout mon apprentissage, car il y avait beaucoup de travail. L’année dernière j’ai décidé de m’inscrire au concours de Meilleur ouvrier de France. J’ai eu les résultats il y a quelques mois et ils étaient positifs. Aujourd’hui, je suis en train de faire les démarches pour travailler à mon propre compte.
Zepros : Que vous a apporté cette expérience avec WorldSkills dans votre travail ?T. L. : Tout d’abord, de la notoriété. Ma médaille a beaucoup fait parler dans ma région et m’a donc offert une belle publicité. Quatre ans après, les gens s’en souviennent et continuent de venir vers moi pour que je réalise leurs travaux. C’est vraiment énorme à quel point mon réseau s’est élargi depuis cette aventure. C’est la principale chose que m’a apporté WorldSkills. C’est ce qui m’a poussé à vouloir lancer mon entreprise. Je reçois régulièrement des demandes de particuliers qui ont entendu parler de moi via les réseaux sociaux ou les journaux locaux. Dans mon travail au quotidien, cette médaille m’oblige à être encore plus exigeant avec moi-même. Les clients s’attendant à un travail d’une certaine qualité. Cette exigence me permet d’être plus rapide et de m’améliorer à chaque chantier. Et ça, c’est grâce à WorldSkills.
Zepros : Quels sont vos projets ?T. L. : J’ai toujours envie de travailler à l’étranger. Si demain un client m’appelle du Brésil par exemple, j’irai sans hésiter. D’ailleurs, grâce à WorldSkills, j’ai été contacté en 2018 par quelqu’un qui voulait refaire sa piscine au Brésil. Sauf qu’à cette époque, je n’étais pas à mon compte. Maintenant que c’est le cas, j’attends qu’il me rappelle. Je n’aurai jamais eu ce genre de contact sans cette compétition. Je n’aurais jamais eu ce début de carrière sans les WorldSkills, ni ce titre de Meilleur ouvrier de France.

Marc Linotte - 32 ans - Médaille de bronze en couverture lors de la WorldSkills Compétition Calgary 2009

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Zepros : Pouvez-vous présenter votre parcours professionnel ?Marc Linotte : Il a commencé en 2002 chez les Compagnons du Devoir. J’ai passé un BEP Technique du bois et j’ai réalisé mon Tour de France qui consiste à apprendre le métier en voyageant à travers les différentes régions et entreprises où nous devons travailler. Je suis passé par Nancy, Rodez, Saint-Malo, Dunkerque, Lyon, Le Mans puis Annecy. Durant cette période, j’ai notamment gagné les concours du Meilleur apprenti de France et le Championnat du Monde des jeunes couvreurs. En parallèle, je m’entrainais pour les Olympiades des métiers. J’ai gagné les finales à Lille en 2009 avant de partir pour Calgary au Canada où j’ai décroché la médaille de bronze.
Zepros : En quoi les WorldSkills ont changé votre carrière ?M. L. : Il faut savoir que dans la catégorie à laquelle je participais, les Suisses étaient les meilleurs depuis quelques années. J’avais donc décidé de partir là-bas pour voir et apprendre leur technique de travail. À la Suite des WorldSkills, j’ai décidé de devenir formateur chez les Compagnons du Devoir pendant deux ans avant de m’installer à Annecy et de travailler pour une entreprise de ferblanterie-couverture suisse comme frontalier. Cette situation, je la dois à cette compétition. Elle m’a permis de gagner beaucoup d’expérience en très peu de temps, mais aussi de la rapidité et de la qualité dans mon travail. Toutes ces qualités professionnelles m’ont donné de la confiance pour m’inscrire au concours de Meilleur ouvrier de France que j’ai passé l’année dernière. J’ai fini major de ma promotion. Je ne le suis pas encore officiellement car je n’ai pas reçu le diplôme, mais c’est tout comme.
Zepros : Le concours vous a-t-il permis de gagner en notoriété ?M. L. : Pas vraiment. Cela concerne davantage les personnes qui ont décidé de monter leur propre entreprise ce qui n’est pas mon cas. Je préfère me concentrer uniquement sur le métier pur et pas sur de l’administratif. Par contre, il m’a offert la possibilité d’aller travailler n’importe où. Ce concours est connu dans le monde entier par les professionnels. C’est un vrai plus sur sa carte de visite et c’est universel. C’est grâce à ça que j’ai pu travailler en Suisse ou encore que j’ai été mis en contact avec des entreprises européennes. Il m’a également permis de devenir chef d’équipe de l’équipe de France des Métiers. Je m’occupe aujourd’hui des 45 jeunes qui représenteront la France lors des WorldSkills 2019 à Kazan. Notre objectif est de les accompagner le mieux possible pour qu’il puisse s’exprimer lors de la compétition. Ils doivent bien comprendre quelque chose : il n’y a aucun regret à avoir dans l’expérience WorldSkills. Ce n’est que du positif dans la vie professionnelle.

Julien Lair - 25 ans - Médaille de bronze aux EuroSkills Compétition Göteborg 2016 en Peinture et décoration

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Zepros : Pouvez-vous présenter votre parcours professionnel ?Julien Lair : J’ai commencé par un CAP peinture avant de faire un CAP solier-moquettiste ainsi qu’un Bac Pro peinture décoration. Durant l’année de mon second CAP, l’un des mes formateurs m’a proposé de m’inscrire aux Olympiades des Métiers au niveau régional. J’ai terminé premier dans ma catégorie, mais je ne me suis classé que cinquième au niveau national. J’ai poursuivi mes études afin de retenter ma chance deux plus tard. Cette fois-ci, c’était la bonne, puisque j’ai fini deuxième lors des finales nationales. À Sao Paulo, je suis monté sur la troisième marche du podium. En parallèle de la préparation à cette compétition, j’ai décidé de monter ma propre entreprise.
Zepros : Les WorldSkills vous ont-ils aidé dans ce projet ? J. L. : Forcément, j’attendais une certaine notoriété grâce à ce concours, que je puisse prouver mes capacités. Beaucoup d’anciens candidats nous racontaient les retombées de cette compétition, même si le but premier pour moi était de montrer ma passion pour ce métier et d’inspirer les plus jeunes à se lancer dans cette voie. Je ne pensais pas lancer mon entreprise aussi rapidement, mais tous ces concours passés m’ont encore plus motivé à le faire. Surtout que j’avais de plus en plus de clients qui entraient en contact avec moi afin que je réalise leurs travaux. Très rapidement, les gens dans ma région ont entendu parler de moi et de mon travail. J’ai également reçu des propositions pour monter sur Paris ou travailler pour des grandes entreprises, mais je préférais rester dans la région. Même trois ans plus tard, j’ai toujours autant de retour par rapport aux WorldSkills.
Zepros : Comment gérer une telle demande si jeune ?J. L. : C’est vrai qu’il faut savoir se poser et prendre les demandes les unes après les autres pour ne pas être submergé par les sollicitations, qu’elles soient professionnelles ou administratives. Il faut prendre ça du bon côté et avancer. Aujourd’hui, j’ai ma propre entreprise à 26 ans, ce n’est pas rien. Tout ce que l’on a appris durant nos semaines de préparation nous aide dans ce genre de situation. C’est pour ça qu’il ne faut pas hésiter à passer ces concours. Cette compétition ouvre des portes, permet de grandir et offre la possibilité de s’améliorer. Pour le futur, j’espère que mon entreprise va continuer de grandir et que je pourrai bientôt prendre un plus jeune avec moi pour le former comme on l’a fait avec moi.
Jérémy Becam
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