« Cette crise nous oblige à nous réinventer », Pauline Mispoulet (Groupe Socoda)
[Zepros Négoce] Après trois semaines de confinement, Pauline Mispoulet, la présidente du directoire du Groupe Socoda, dresse un état des lieux au sein du groupement. Malgré une chute d’activité de 70 à 90 % sur la seconde quinzaine de mars selon les branches du Bâtiment (le pôle Industrie résistant mieux) et les régions, la majorité des adhérents restent sur le pont. Il s'agit désormais de commencer à préparer l'après-confinement. Et un projet de “fonds de solidarité” interne est à l'étude pour épauler la trentaine d'adhérents les plus exposés à la crise.
Depuis le début du confinement, la distribution Bâtiment doit tenter de « concilier des obligations quasiment opposées », reconnaît Pauline Mispoulet. D’un côté, « garantir et préserver la santé nos collaborateurs, clients et fournisseurs ». De l’autre, « tenter de maintenir un niveau d’activité dans les agences » en dépit d’un gel quasi général des chantiers. D’ailleurs, le secteur de la construction paie le plus lourd tribut depuis le début de la crise sanitaire. Selon la dernière note de conjoncture de l’Insee (au 26/03/2020), la filière du Bâtiment doit encaisser une chute vertigineuse de 89 % de son activité. Pis. « La consommation des ménages dans la branche Construction baisserait de 90 % », notait encore l’Insee ; les particuliers ne laissant pas – ou peu –
entrer artisans et installateurs pour poursuivre les travaux de rénovation. L’activité partielle s’est imposée.
Face à la “pénurie” de masques
Mais, comme beaucoup d’autres enseignes souvent confrontées à des niveaux de stock insuffisants en matériel de protection afin que les équipes puissent poursuivre l’activité en version “sans contact”, l’arbitrage était vite fait. Pour Pauline Mispoulet, comme pour les 200 patrons du réseau Socoda, il n’était « pas question d’exposer en conscience nos équipes ». Réquisitionnés « légitimement » par l’État à destination des opérateurs d’importance vitale (OIV), les masques de protection ont fait défaut dans les agences. Il a fallu faire sans, tout en respectant scrupuleusement les règles de sécurité sanitaire. Au siège du groupement, à Paris, l’arrivée d’une commande groupée de masques est programmée en cours de semaine. « En amont, ça aura été une semaine de travail non-stop en interne pour pouvoir s’approvisionner. Il est tout aussi difficile de trouver en quantités du gel hydroalcoolique et des gants. C'est la branche Outils Pro qui gère ces approvisionnements, et il y a eu du dépannage à l’intérieur de la branche Décoration. C’est, entre autres, dans ce genre de séquence que le réseau “joue” pleinement son rôle », martèle la dirigeante.
Renforcer le lien intra-groupement
Dès la semaine 1 du confinement, « il était important pour tous – au siège, chez les adhérents, avec les collaborateurs – de se parler, d’échanger sur les best practices pour faire face à cet épisode anxiogène. Plusieurs groupes WhatsApp ont été mis en place au niveau de la gouvernance et de nos 7 branches. Ce processus d’intelligence collective et de réassurance est très vite monté en puissance malgré une prise de conscience brutale de l’urgence sanitaire », rappelle Pauline Mispoulet.
Des patrons “les mains dans le cambouis”
À l’issue d’un sondage mené le 25 mars, 96 % des agences avaient réussi à maintenir une activité dans les branches Électricité et Sanitaire-Chauffage qui tournent entre 5 % et 15 % par rapport à la normale. Depuis la réouverture des sites en cours de semaine 2, les horaires restreint – souvent le matin – sont la règle. Un levier pour tenter de réduire les coûts d’une reprise partielle. Le drive « sécurisé à 100 % » a été généralisé, tandis que les adhérents disposant d’un site web-to-store assurent encore parfois les livraisons. Néanmoins, « on ne s’improvise pas transporteur en un claquement de doigt ! Il y a aussi des risques de tensions chez les transporteurs qui doivent avant tout servir les secteurs prioritaires (santé, énergie, agro-alimentaire) ; et les tournées sont de moins en moins rentables actuellement [consulter l'enquête de la FNTR du 01/04/2020 et le sondage de bp2r du 24-27/03] », concède-t-elle.
Mesures de chômage partiel, congés payés pour d’autres salariés… : parfois, des dirigeants de négoces sont obligés d’assurer quasiment seuls les affaires courantes dans leurs agences. « Dans la branche Outils Pro, l’activité tourne un peu plus, mais la différence est de l’épaisseur d’un trait. Quant aux adhérents de la branche Décoration, beaucoup sont encore à l’arrêt », constate Pauline Mispoulet – même si en fin de semaine 3, la FND estimait que 80-85 % des comptoirs étaient ouverts… avec de fortes disparités régionales.
Anticiper sur les “réappros”
Sur le pôle Industrie (environ un quart du CA du réseau Socoda), il commence, entre autres, à y avoir des problèmes de visibilité sur les niveaux de stock d’acier. Actuellement, en Europe, 9 hauts-fourneaux qui cumulent une capacité de production de 19 millions de tonnes, sont à l’arrêt. Cette stratégie européenne de “mise sous cocon” aurait déjà impacté la production de l’ordre de 15 à 20 %. Toutefois, sur l’ensemble des 7 branches, Pauline Mispoulet assure que « chez les adhérents, les niveaux de stock à J-0 sont encore satisfaisants. C’est un dossier dont se sont déjà saisies les équipes achats et logistique au siège. Avec un état de rapprochement permanent entre les ouvertures/fermetures d’agences et celles des fabricants partenaires pour évaluer les besoins en réapprovisionnement. Il s’agit aussi de donner un peu de visibilité à nos 1 000 fournisseurs », concède la dirigeante. Mais également « anticiper au plus vite s’il devait y avoir un déconfinement graduel ». Reste que sur ce point, mais aussi depuis le début de la crise sanitaire, Pauline Mispoulet estime que « la communication gouvernementale n’est pas forcément facile à lire pour les professionnels du Bâtiment ».
Un “fonds de solidarité Socoda” ?
Dès les premiers jours, le groupe a informé ses 200 adhérents sur tous les dispositifs gouvernementaux d’aide et de soutien. Des courriers-types ont été rédigés à l’attention des clients en compte. D’ailleurs, la dirigeante rappelle aux adhérents l’importance de ne pas se mettre non plus en situation de défaut de paiement vis-à-vis des fournisseurs. Tout en précisant que « le réseau bénéficie d’une trésorerie plutôt confortable dans sa grande majorité ». C’est donc sur les « 25 à 30 adhérents les plus fragiles » que se concentre l’attention. « Nous expliquons aux assureurs-crédit que derrière ces sociétés, il y a la force d’un groupement : Socoda Investissement. Si cette structure financière fait habituellement plutôt de l’equity (gestion de haut de bilan, financement de dette senior…), nous réfléchissons à créer un fonds de solidarité interne au groupe. Deux membres du réseau ont aussi sollicité des branches pour développer la solidarité inter-branches pour abonder ce fonds. Le cas échéant, ce sera une décision de la gouvernance Socoda : le directoire, le conseil de surveillance et les 7 présidents de branche », confie Pauline Mispoulet. Et de souligner qu’« au sein de notre groupement, la solidarité a pris tout son sens avec cet épisode inédit, même auprès de ceux qui pouvaient en douter… »
L’après-crise sanitaire…
Si cette pandémie et le confinement « perturbent beaucoup de choses dans l’organisation au quotidien » et « compliquent les actions de court terme », elles mettent aussi « à jour des évidences ». À commencer par « la capacité de résilience du réseau et la belle énergie qui y circule », ainsi que « la vulgarisation plus rapide du numérique dans notre filière. Même si le digital, ce ne sont pas que des outils. C’est aussi ce que l’on en fait ». En outre, «le plan stratégique de Socoda à horizon 3-5 ans n’est absolument pas impacté et nous allons continuer à l’affiner, confirme la dirigeante. Cette période met aussi en exergue les besoins des adhérents les moins structurés en matière de RH, de gestion, de finances, etc. Selon les profils, chaque adhérent, mais aussi chacun de nos métiers, n’a pas le même métabolisme. Socoda doit être encore plus un levier de performance sur tous les aspects stratégiques, et de soutien aux chefs d’entreprise. Cette crise nous oblige sans doute à nous réinventer et doit renforcer notre capacité à nous mobiliser. Elle ouvre le champ des possibles ». S. Vigliandi
Des craintes jusqu’en 2021 pour le neuf
Reste une énorme crainte au sein du groupement, comme dans l’ensemble de la filière du BTP : celle liée à l’une des 25 ordonnances Covid-19 qui prévoit l’instruction décalée des autorisations d’urbanisme et permis de construire.
Depuis le début de la semaine, les organisations professionnelles alertent les pouvoirs publics sur les « conséquences catastrophiques » d’un report d’ici à l’automne qui mettrait la construction neuve en stand-by jusqu’en 2021…
Selon les constructeurs et aménageurs de la FFB (LCA-FFB) ou encore l’Unsfa (Union des architectes), « il est à prévoir que la quasi-totalité des autorisations, dont les demandes sont en cours ou à venir, ne seront purgées de tout recours qu'au début 2021 ». Avec des répercussions, entre autres, sur les entreprises de second œuvre qui ne pourraient commencer leurs travaux « qu’à partir de l’été 2021 »… Durant toute cette période, « il y a donc un risque fort d’encéphalogramme plat dans le neuf », convient Pauline Mispoulet.