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La Rédaction

"Il faut créer une certification qui engage la responsabilité des acteurs de terrain"

Thierry Fournier
directeur général adjoint (région Europe du Sud, Moyen-Orient, Afrique)
Saint-Gobain
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Thierry Fournier Saint-Gobain

Le géant des matériaux de construction et de la distribution a publié, à l’automne 2024, un livre blanc intitulé « Accélérer la rénovation énergétique en France ». Zepros Réno est donc allé à la rencontre d’un des membres du comité exécutif afin d’en savoir plus sur les propositions formulées et les possibilités de faire avancer tout le secteur dans l’Hexagone.

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Comment analysez-vous la situation conjoncturelle du Bâtiment, du côté de la rénovation, mais aussi du neuf particulièrement en difficulté ?
Thierry Fournier

Nous traversons une période exceptionnelle de crises qui ont durement impacté le secteur. La crise du Covid-19, d’abord, a perturbé dès 2020 les chaînes d’approvisionnement. S’en est suivie une hausse de l’inflation exacerbée par la guerre en Ukraine et l’arrêt des importations de gaz russe, entraînant entre autres une augmentation du coût des matériaux de +30 % rien qu’en production. Pour tenter de juguler la crise, les banques centrales ont relevé les taux d’intérêt, rendant difficile l’achat immobilier pour les primo-accédants, et l’obtention de prêts pour la rénovation. Dans ce contexte, le marché de la construction neuve s’est effondré : une chute historique de -40 % et même -53 % pour le résidentiel, un niveau inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. La rénovation réussit à résister grâce aux dispositifs d’aides et à la prise de conscience de l’importance de l’acte de rénover, avec une baisse de -9 % en trois ans. Or je tiens ici à rappeler l’importance d’avoir un secteur de la construction en bonne santé. Ce sont des centaines de milliers d’emplois non délocalisables et qui ont une véritable utilité pour la société. Et c’est enfin du bien-être et du confort pour tous.

Quels sont les chiffres à retenir ?
Thierry Fournier

La France compte 36 millions de logements dont 5 à 6 millions de passoires thermiques. Mais il manque 500 000 nouveaux logements par an. Par ailleurs, la France a un deficit de 2,5 millions de logement sociaux. Il faut donc continuer à construire et rénover l’existant. L’importance de la rénovation semble être comprise : baisse des émissions de CO2 liées à la consommation énergétiques des occupants, baisse de la facture énergétique, confort mais aussi souveraineté nationale et équilibre de la balance commerciale… mais ça ne va pas assez vite. C’est là tout l’enjeu du Livre Blanc de la rénovation énergétique que nous avons présenté lors de Batimat. Nous avons travaillé avec tous les acteurs du secteur pour proposer huit solutions concrètes visant à accélérer la rénovation en France. Ces solutions concernent la nécessité de renforcer l’information et la formation des acteurs, d’accompagner les copropriétaires, de stabiliser les dispositifs d’aides, et d’adopter une approche territorialisée. Cela nécessitera une mobilisation collective, allant des pouvoirs publics aux acteurs financiers et industriels.

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Thierry Fournier Saint-Gobain
Comment voyez-vous votre rôle à la fois d’industriel des matériaux de construction et de distributeur dans la structuration de l’accompagnement ?
Thierry Fournier

En tant qu’industriel et distributeur, nous occupons une position centrale dans la chaîne de valeur et nous agissons à tous les niveaux. Nous comptons plus de 80 usines et 2 000 points de vente avec nos enseignes Point.P, La Plateforme du Bâtiment ou encore Cédéo réparties sur tout le territoire français. Nous sommes en contact direct avec 90 % des artisans, soit près de 400 000 professionnels. Cette position nous oblige, nous avons un rôle de fédérateur, de catalyseur, et le devoir de tout mettre en œuvre pour accélérer la transition du secteur. Nous échangeons aussi avec les architectes, les maîtres d’ouvrage, les collectivités territoriales, etc. Ces échanges quotidiens nous permettent d’identifier les besoins, mais aussi de structurer des solutions efficaces qui répondent réellement à leurs contraintes. Par exemple, avec notre logiciel de simulation « Cap Rénov+ » nous accompagnons les artisans qui veulent aider leurs clients à choisir les bons travaux en structurant leurs projets et en simulant les aides auxquelles ils pourraient avoir droit.

Quel est le premier chantier à adresser ?
Thierry Fournier

Les copropriétés sont un chantier prioritaire. Elles représentent 30 % des logements et 1 million de passoires thermiques, mais elles ne bénéficient que de 1 % des rénovations énergétiques. Cette sous-rénovation s’explique par la complexité de la gouvernance collective, où il est souvent difficile de prendre des décisions. Il faut structurer une offre adaptée pour les copropriétés. Par exemple, nous travaillons avec la Fnaim pour former syndics, architectes et bureaux d’études à l’élaboration de projets concrets et adaptés. Le syndic joue un rôle central : il doit rassurer les copropriétaires et leur fournir une feuille de route claire pour leurs travaux. Un autre sujet clé est celui du reste à charge. Aujourd’hui, 60 % des propriétaires de maisons classées F ou G ne peuvent pas accéder aux prêts bancaires traditionnels, en raison de leur taux d’endettement, de leur âge ou de leur santé. Les banques doivent se mobiliser avec des solutions de financement innovantes, par exemple avec des crédits dont le remboursement pourrait être basé sur les économies d’énergie futures. On pourrait aussi imaginer une norme qui incite les banques à flécher annuellement un certain nombre de prêts sur la rénovation.

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Thierry Fournier Saint-Gobain
Quels autres leviers faut-il activer ?
Thierry Fournier

Une des propositions du Livre Blanc est de renforcer l’ancrage local des dispositifs. C’est absolument déterminant. Les fraudes à MaPrimeRénov’, estimées à 400 millions d’euros en 2023, montrent qu’un système centralisé a ses limites. Il faudrait que les collectivités locales, qui connaissent mieux leur territoire, soient davantage impliquées. Un autre levier est la garantie de l’efficacité des travaux. Contrairement au neuf, la rénovation énergétique n’est pas couverte par une garantie décennale. Il serait pertinent de créer une certification qui engage la responsabilité des acteurs sur les résultats. Enfin, il est crucial de fiabiliser le diagnostic de performance énergétique (DPE), en se basant uniquement sur les consommations mesurées avant et après travaux. Cela apporterait plus de transparence et de confiance aux propriétaires. Des solutions existent déjà. En France, il existe des groupements temporaires d’entreprises indépendantes qui souscrivent à une police d’assurance conjointe et solidaire. Au Royaume-Uni, Saint-Gobain participe au consortium QUB/E, une méthode de mesure de la performance énergétique d’un logement en une nuit. Simple, rapide et efficace, ce système permet d’évaluer réellement les gains liés à la rénovation du bâti.

L’équilibre budgétaire de l’État n’est pas du tout acquis, comment soutenir encore la rénovation ?
Thierry Fournier

Il ne faut pas voir la rénovation énergétique uniquement comme une dépense, c’est un investissement stratégique et une partie de la solution pour retrouver un équilibre budgétaire. Le Bâtiment représente 100 milliards d’euros de contribution annuelle au budget de l’État en taxe foncière. Une rénovation performante et massive, c’est moins de consommation énergétique donc moins d’émissions de CO2, c’est une baisse de la facture énergétique des ménages donc plus de pouvoir d’achat, c’est une meilleure isolation donc plus de confort et de bien-être… Pour le pays c’est aussi une moindre dépendance aux importations de gaz, la possibilité de réorienter notre production électrique vers l’électrification des usages. Prenons un exemple concret qui prouve l’efficacité d’une rénovation performante : dans le cadre d’un programme interne, Saint-Gobain aide ses collaborateurs à rénover leurs logements. Les résultats sont parlants : une baisse de -61 % des factures énergétiques, pour un coût moyen de 50 000 euros et une aide de Saint-Gobain de 11 000 euros, avec un retour sur investissement en 6 ans.

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Thierry Fournier Saint-Gobain
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