Béton & ciment : la filière se met au vert

Jérémy Becam
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[Zepros Bati] Face à des ressources qui s’épuisent et des réglementations qui se font de plus en plus exigeantes, les industriels du ciment et du béton cherchent toutes les solutions possibles pour réduire leur empreinte environnementale. Évolution des procédés industriels, mise au point de formulations alternatives, transformation de déchets en ressources... les pistes explorées sont nombreuses. Dossier réalisé par G.Noble et M.Wast.
En avril 2016, les exploitants de carrières de granulats (Unicem) et les spécialistes du béton (SNBPE) signaient avec l’État un des tout premiers « Engagements pour la croissance verte » (ECV), afin d’intensifier la démarche de valorisation et de recyclage des déchets inertes du BTP. Plusieurs objectifs étaient alors définis : une utilisation rationnalisée des ressources, le développement de la reprise des matériaux issus des déconstructions, avec en ligne de mire un taux de 70 % de recyclage fixé par l’Union européenne. Trois ans plus tard, toute la filière affiche avec satisfaction une proportion de 80 % de matériaux inertes recyclés, couvrant 28 % des besoins en granulats pour la construction. Des chiffres obtenus grâce au réemploi direct sur les chantiers de Travaux publics, au recyclage par des plateformes dédiées et à la valorisation dans des remblais de carrières.

Caractériser les matériaux

Mais l’entrée en vigueur prochaine de la Réglementation environnementale 2020, qui prendra en compte l’empreinte carbone des constructions, oblige les professionnels du ciment et du béton à aller encore plus loin. Ils proposent d’ailleurs à l’État de signer un deuxième ECV pour porter le taux de recyclage à 90 % en 2025, avec notamment une requalification de certains matériaux pour les sortir du statut de « déchet » et un élargissement du périmètre du marquage CE, pour assurer une meilleure qualité des granulats recyclés. Par exemple, à Colombes (92), l’aménagement d’un futur éco-quartier impose la déconstruction de 98 000 m2 d’immeubles de bureaux des années 1980. L’occasion pour Cardem (filiale d’Eurovia) de recycler 75 000 t de béton sur une plateforme située à proximité, à Gennevilliers. Christophe Jozon, directeur Matériaux & Industries France pour Eurovia, note : « Il n’y a pas d’opposition entre les activités de carrière et de recyclage, mais au contraire une complémentarité entre elles. Avec un réseau de proximité, il est possible d’établir des boucles courtes entre chantiers, plateformes de recyclage et carrières ». Des taux de recyclage de 100 % seraient même envisageables sur certaines applications (autoroutières notamment), mais un travail sur les normes devra être entrepris. Seule limite pour les experts : s’assurer de l’absence de matériaux étrangers comme les ferrailles, le bois, les plastiques ou le plâtre. Ce dernier, source de sulfates, est particulièrement redouté par les cimentiers et doit être limité à 0,5 %.

Les offres se multiplient

Afin de parvenir à réemployer tous les matériaux, les offres de mise en relation se multiplient, avec le lancement de market places digitales qui assurent la traçabilité des rebuts, à partir d’une déconstruction sélective des bâtiments. Citons, par exemple, les initiatives comme Backacia ou CycleUp, qui identifient les ressources d’un chantier, dressent un véritable catalogue et amènent de la traçabilité. Le problème assuranciel se résoudra de lui-même, comme cela a été le cas pour les pièces automobiles d’occasion au milieu des années 2000. Et l’emploi du BIM (ou de sa variante pour la déconstruction, le RIM, pour Resource Information Modeling) s’avèrera précieux afin d’établir instantanément des diagnostics pour les bâtiments en fin de vie et procéder à des prélèvements méthodiques. Grâce à tous ces efforts, les industriels promettent une empreinte environnementale réduite et l’instauration d’une économie réellement circulaire.

Transformer les sédiments fluviaux en matériau fiable

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L’entretien des voies de navigation et ports par dragage génère une grande quantité de déchets sédimentaires, à stocker puis traiter pour les éliminer. Diverses initiatives sont menées dans la région de Hauts-de-France depuis plusieurs années afin d’ouvrir des perspectives plus durables et se servir de ces sédiments comme matière première de cimenterie. Jaouad Nadah, responsable support technique chez Eqiom, explique : « Nous nous sommes rapprochés du département Génie civil & environnemental de l’IMT Lille-Douai dont l’expertise sur le matériau sédiment n’est plus à prouver. Ce rapprochement a donné naissance à un projet innovant et précurseur soutenu par la région Hauts-de-France : Sédicim ». Le but est de parvenir à caractériser puis utiliser les résidus de dragage non dangereux et non inertes dans la production de liants hydrauliques et d’industrialiser le processus via des plateformes de transit. En 2014 déjà, les sociétés Néo Eco et Suez Environnement avaient prouvé avec Concrete Urban, la possibilité de formuler un béton intégrant des sédiments. Chaque année, les départements nordistes produisent, à eux seuls, 5 millions de tonnes de ces déchets, en raison de la présence de nombreux canaux et du port de Dunkerque.

Valoriser les terres polluées des friches industrielles

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Les zones périurbaines sont en pleine évolution et la reconquête d’espaces autrefois industriels s’accompagne d’importants travaux de construction d’éco-quartiers. Or, les terres excavées sur ces emprises sont généralement polluées. Chez Vicat, on considère cette caractéristique comme un avantage, comme l’explique Stéphane Rutkowski, directeur du programme Circul’ère : « La chimie de ces terres présente des composés minéraux intéressants comme la silice, le fer ou le calcium ». La substitution de matériaux neufs dans le ciment par ces terres pourrait donc être envisagée. Les polluants organiques souvent rencontrés (hydrocarbures) pourront être détruits par combustion, tandis que les métaux lourds resteront dans le clinker. L’expert ajoute : « Nous respectons un cahier des charges strict, avec un criblage obligatoire des terres pour éviter d’introduire des indésirables comme les ferrailles ». Les terres sont livrées dans des alvéoles de stockage de la cimenterie, vérifiées et dosées avant d’être introduites dans le processus industriel. « L’usine se transforme ainsi en acteur de l’économie locale qui participe à la dépollution des sols ». Avec la hausse des coûts de mise en décharge (65 €/t prévus en 2025), la pertinence économique de cette démarche, qui nécessite des investissements conséquents en termes de logistique et d’analyse.

Des centrales à béton “zéro rejet” pour le Grand Paris

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Les chantiers du Grand Paris nécessitent d’énormes quantités de béton. Pour y répondre, les industriels comme Unibéton (Heidelberg Cement Group) développent des unités de production à empreinte environnementale réduite, mobiles ou fixes, comme à Villejuif où la centrale temporaire a été pensée pour ne produire aucun rejet. Développée avec Skako, elle recycle les retours des camions malaxeurs et recycle les granulats en réincorporant le tout dans le process. Les responsables expliquent : « Les eaux de lavage passent dans des bassins qui collectent également les eaux pluviales, où l’ensemble est agité pour tout maintenir en suspension. Ces eaux chargées sont réutilisées avec un apport d’eau propre réduit à 50 % pour certaines formulations ». Un avantage environnemental d’autant que les bétons de génie civil sont fortement dosés en ciment, très adjuvantés mais ne contiennent que peu d’eau (150 l/m3 contre 180 pour les bétons standards). Sur la grosse unité fixe d’Issy-les-Moulineaux la démarche est encore plus poussée : le déchargement des barges d’approvisionnement en sable et granulats est effectué par une pelle électrique. Les eaux de lavages chargées sont récupérées à la presse à boue et fournissent environ 20 t/jour de galettes de fines de ciment, qui sont retournées à la cimenterie de Gargenville afin de réintégrer la production.

Matériaux naturels et recyclage

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Si les blocs béton ont, depuis presque toujours, été produits de façon régionale, voire locale, limitant ainsi leur bilan carbone, ils n’ont jamais été très contributeur de la performance énergétique des bâtiments. Cet aspect est en train de changer avec l’arrivée sur le marché de blocs qui intègrent des matériaux isolants de toutes origines : pierre ponce, mousse minérale, bois et autre Miscanthus… L’écoconstruction biosourcée est d’ailleurs un axe de développement fort des industriels du secteur et de Alkern en particulier (voir notre interview dans Zepros Bati 68 – P38), ainsi que le renforcement de l’économie circulaire en favorisant, à l’avenir, l’utilisation de matériaux récupérés et recyclés dans les cycles de production des blocs.
Jérémy Becam
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