Maires rénovateurs : des milliards en jeu... et du business en perspective

, mis à jour le 28/05/2025 à 16h04
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Focus maire rénovateurs visuel ouverture bâtiment public travaux

La loi de transition énergétique pose des objectifs ambitieux à horizon 2030 et 2050, notamment pour le secteur du Bâtiment. Face au changement climatique, il s'agit de rénover et d'adapter les bâtiments pour une meilleure qualité de vie. Cette même loi fixe même une obligation d'exemplarité pour les bâtiments publics de l'État comme des collectivités. Un projet pharaonique qui s'étalera sur plusieurs années, considéré même comme « le chantier du siècle » par Christophe Béchu, l'ex-ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

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Avec un parc tertiaire de 280 millions de m², soit un patrimoine bâti de plus de 225 000 bâtiments, dont la moitié est occupée par les écoles, collèges, lycées et équipements sportifs, les collectivités sont de grandes consommatrices d'énergie : 26,1 TWh, soit une facture annuelle de 2,6 Md€, selon l'Ademe. Un véritable gouffre pour les communes françaises. Second poste de dépenses après les charges de personnel, l'énergie représente 6 % de leurs charges totales de fonctionnement.

Alors face à la double urgence climatique et financière, le gouvernement agite le chiffon rouge : rénover et adapter les bâtiments sans délai. « Je souhaite qu'on aille plus vite sur la rénovation des bâtiments publics », avait déclaré, en novembre 2022, Emmanuel Macron qui ciblait en particulier les écoles.

Un lourd défi d'investissement pour les collectivités

Pour activer la cadence, les élus doivent se soumettre à une kyrielle de réglementations, notamment celle qui vise les bâtiments de plus de 1 000 m2. En effet, le dispositif Éco Énergie Tertiaire, décrit dans le décret tertiaire, fixe des obligations de réduction de la consommation d'énergie finale de 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050.

Mais la facture en termes d'investissements promet déjà d'être lourde. « Si le besoin de financement n'est pas précisément défini, pour les seuls 140 millions de m² du bâti scolaire, un rapport du Sénat l'évalue à 40 Md€, soit 4 Md€ par an durant dix ans », avertit Guillaume Perrin, directeur du programme « Action des Collectivités pour l'Efficacité Énergétique » (Actee), un dispositif porté par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).

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Alain Chrétien maire de Vesoul photo portrait avec drapeau français

« Redonner vie aux bâtiments emblématiques en ruine, c’est transformer la ville tout entière sur le très long terme. Car la rénovation des bâtiments publics permet également de valoriser le patrimoine privé des alentours. Un effort financier gagnant-gagnant. »

Alain Chrétien, maire de Vesoul et président de l’agglomération.

Malgré les aides, via les dispositifs en place (France Relance, Tiers-financement, Fonds vert), les collectivités se retrouvent aujourd'hui désarmées devant « ce mur d'investissement », alors que l'État se montre moins généreux compte tenu de la baisse de ses recettes fiscales, qui a conduit Bercy à amputer de 400 millions d'euros le Fonds vert destiné à la rénovation énergétique.

Mais si la rénovation représente un défi de taille pour les collectivités, elle est aussi une opportunité pour le secteur du Bâtiment. Car comme souligne Gaëtan Pauchet, adjoint au maire de Chambéry « sans les entreprises, les objectifs de massification ne pourront pas être atteints ».

Chiffres clés

  • 4 milliards d'euros : marché estimé de la rénovation, largement soutenu par les aides publiques.
    Source : Sénat.
  • 225 000 bâtiments : le patrimoine bâti des collectivités locales.
    Source : ministère de la Transition écologique.
  • 8 milliards d'euros par an : la somme à allouer à la rénovation des quartiers prioritaires d’ici à 2030.
    Source : Agence France Locale.
  • 170 000 à 250 000 emplois : le nombre de postes à créer dans le BTP pour tenir l’objectif.
    Source : France Stratégie.

Chambéry accélère la rénovation énergétique

Dans le chef-lieu de la Savoie, la transition énergétique passe par un vaste plan de rénovation des bâtiments publics et privés. Un défi environnemental et financier qui ouvre indéniablement des perspectives pour le secteur du Bâtiment.

Avec un patrimoine bâti multiplié par trois depuis les lois de décentralisation, Chambéry s’engage dans une modernisation massive de ses infrastructures. « 80 % des logements de 2050 existent déjà. Ne pas agir sur l’existant serait renoncer à la neutralité carbone », affirme Gaëtan Pauchet, adjoint au maire en charge de la Politique de la ville, du Logement et de la Vie des quartiers.

Mais entre contraintes budgétaires, réglementation stricte et manque d’artisans qualifiés, Chambéry doit jongler avec plusieurs défis pour réussir cette transition. Alors que le décret tertiaire impose une réduction de 60 % de la consommation énergétique des bâtiments de plus de 1 000 m² d’ici à 2050, un premier diagnostic a concerné 16 bâtiments municipaux, dont des écoles et le centre des congrès Le Manège, qui bénéficiera d’une modernisation avec à la clé une réduction de 50 % de sa consommation d’énergie. « Pour ce projet, nous avons obtenu 500 000 € du Fonds vert et 200 000 € du conseil départemental, mais le reste à charge reste conséquent », déplore Gaëtan Pauchet.

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Chambéry centre-ville besoin rénovation

La rénovation du parc privé est tout aussi prioritaire. Chambéry a mis en place Mon Pass Rénov’, un dispositif local complétant les aides de l’Anah. Depuis 2021, il a permis la rénovation de 977 logements, générant 23,2 M€ de travaux et créant 650 emplois locaux. Mais cette montée en puissance pourrait être freinée par le manque d’artisans qualifiés. « Sans formation et professionnalisation des filières, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs », alerte l’élu, qui travaille avec les chambres de métiers et les fédérations du Bâtiment pour renforcer l’offre de main-d’œuvre locale.

Reste que pour accélérer la transition énergétique et résoudre la crise du logement, les collectivités attendent un soutien renforcé de l’État. « Nous avons mobilisé tous les financements possibles, mais le reste à charge est trop lourd. Sans une aide plus pérenne, la massification des rénovations restera hors d’atteinte », conclut Gaëtan Pauchet. Un appel qui résonne dans un secteur où les opportunités pour le BTP sont considérables, à condition que les moyens suivent. ●


« La rénovation des bâtiments publics est un impératif, mais les moyens manquent »

Guillaume Perrin, directeur du programme Actee, revient sur le bilan du dispositif Actee 2 et les défis financiers qui freinent la rénovation énergétique des bâtiments publics.

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Guillaume Perrin directeur programme Actee

Zepros : Quel bilan tirez-vous du programme Actee 2 ?
Guillaume Perrin : Aujourd’hui, 35 % des bâtiments ayant bénéficié d’audits ont déjà engagé des travaux, contre moins de 30 % auparavant. De plus, selon les collectivités, 35 % supplémentaires devraient suivre dans les trois à quatre prochaines années. Si ces chiffres se confirment, nous atteindrons un taux de concrétisation de 70 %, ce qui est un progrès significatif. Le programme a disposé d’une enveloppe de 110 M€, dont 10 dédiés à l’éclairage public. Presque 92 % des fonds ont été engagés, et les derniers dossiers sont en cours de finalisation. Ce succès montre l’ampleur des besoins. Avant même la fin d’Actee 2, nous avons lancé Actee +, doté de 220 M€, et déjà l’enveloppe est quasiment entièrement engagée.

Zepros : À combien estimez-vous le besoin total de rénovation des bâtiments publics ?
G. P. : Les chiffres varient, mais nous savons que le défi est colossal. Un rapport du Sénat estimait à 40 Md€ sur dix ans le financement nécessaire pour les seuls bâtiments scolaires. En extrapolant, nous pourrions avoir besoin de 10 Md€ par an jusqu’en 2030 pour l’ensemble du parc public. C’est un chiffre à prendre avec prudence, mais il donne un ordre de grandeur des investissements à réaliser.

Zepros : Le Fonds vert devait soutenir ces rénovations. Où en est-il ?
G. P. : Il a été fortement réduit. Initialement prévu à 2,5 Md€, il a été amputé de 400 M€, et d’autres coupes sont à prévoir. Ce revirement est problématique car les collectivités s’étaient approprié ce dispositif très rapidement. Sa diminution risque de ralentir des dynamiques pourtant bien engagées. Les élus locaux sont prêts à s’engager, mais sans soutien clair et durable, ils risquent d’être contraints de reporter des projets essentiels.

Zepros : Un dernier mot sur la suite des programmes Actee ?
G. P. : Nous devons continuer sur la trajectoire engagée. Après Actee 2 et Actee +, nous estimons qu’une enveloppe de 350 à 500 M€ pour Actee 4 serait nécessaire pour répondre aux besoins. Plus qu’un enjeu financier, c’est une question de cohérence entre les objectifs climatiques fixés par l’État et les moyens accordés aux collectivités pour les atteindre. ●

Un patrimoine à bout de souffle

Les quartiers prioritaires, qui concentrent fragilités sociales et économiques, souffrent également d’un bâti vétuste et énergivore.

Qu’il s’agisse d’écoles, d’équipements sportifs ou de centres administratifs, les besoins sont considérables. Pourtant, une étude de l’Agence France Locale (AFL) intitulée *“Rénovation des bâtiments publics et quartiers populaires”* souligne que seule une minorité des collectivités dispose d’un inventaire précis de son patrimoine, ce qui complique l’identification des priorités, alors que « dans certaines villes, les bâtiments sont dans un état de dégradation avancé, faute d’entretien et de moyens », constate Malika Ait Gherbi Palmer, directrice de cabinet adjointe du maire de Roubaix.

Une difficile équation...
Face à l’urgence, les collectivités locales doivent jongler avec des budgets serrés. Toujours selon l’étude, il faudrait 8 milliards d’euros par an d’ici à 2030 pour mener à bien ces rénovations. Or, les subventions de l’État, bien que nombreuses (Fonds vert, Anru, CEE, etc.), restent insuffisantes. « Nous devons sans cesse arbitrer et chaque décision impacte directement la qualité de vie des habitants », témoigne Christophe Lefort, directeur général des services de Saint-Priest, près de Lyon.

... Mais des solutions existent
Malgré ces freins, des collectivités innovent pour la transition énergétique. À Lormont (33), la ville a opté pour la déconstruction-reconstruction de sa piscine municipale, une solution plus économique qu’une rénovation complète. À Allonnes (60), un vaste plan de végétalisation accompagne la réhabilitation thermique des bâtiments scolaires pour améliorer le confort d’été des élèves. « Il faut penser globalement et anticiper les futures réglementations, sinon nous devrons recommencer dans dix ans », souligne Anne-Claire Boux, adjointe à la mairie de Paris en charge de la Politique de la ville. ●

Des emplois à la pelle… sous condition

La rénovation énergétique des bâtiments est bien plus qu’un impératif écologique, c’est aussi un moteur de création d’emplois.

D’ici à 2030, entre 170 000 et 250 000 postes devraient être créés pour mener à bien ce vaste chantier, selon les projections de France Stratégie. Chauffagistes, électriciens, couvreurs, plombiers ou encore diagnostiqueurs thermiques : tous ces métiers sont en forte demande pour accompagner la transition énergétique du parc immobilier.

Aujourd’hui, environ un million de travailleurs du bâtiment pourraient être mobilisés sur ces travaux, selon les experts, mais l’enjeu est d’attirer de nouveaux profils. Car si la demande explose, le déficit de main-d’œuvre qualifiée menace l’atteinte des objectifs. Pour y répondre, la profession mise sur la formation continue et la reconversion, notamment depuis des secteurs comme l’industrie ou les services.

Avec un marché évalué à 40 milliards d’euros, la rénovation énergétique du parc garantira des opportunités commerciales sur plusieurs décennies aux entreprises du BTP, avec une stabilité et une visibilité inédites sur leur activité. Reste à structurer l’offre et à assurer une montée en compétences rapide de la main-d’œuvre. ●

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