L'apprentissage trouve enfin ses lettres de noblesse dans le BTP
Le BTP arrive en tête de l’apprentissage en France avec une part de 20 %. Il a pourtant souffert pendant des décennies d'un sérieux déficit d'image. Grâce à la réforme de l'apprentissage et des campagnes de communication pour mieux séduire, le BTP se fait désormais une (petite) place dans le parcours des jeunes.
Les clichés ont la vie dure mais, heureusement, concernant le secteur du Bâtiment, ils sont en train de petit à petit s’estomper. Si longtemps le BTP a été considéré comme un secteur ne faisant pas rêver les plus jeunes, la tendance est en train de s’inverser. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Élisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion avait choisi de faire sa rentrée de l’apprentissage 2021-22 dans un CFA spécialisé dans le BTP à Rueil-Malmaison (92) en septembre dernier.
L’occasion pour la ministre de revenir sur les avancées en matière d’apprentissage dans le Bâtiment et les Travaux publics, depuis la loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ainsi que sur l’engagement de l’État en faveur de l’apprentissage, dans le cadre du plan de relance et du programme “1 jeune, 1 solution”.
Depuis 2020, 2 milliards d’euros ont été investis dans la filière, sous forme de primes versées aux entreprises pour l’embauche d’un apprenti : 5 000 euros pour la première année de contrat d’un mineur, 8 000 euros pour un majeur.
Cette mesure a par ailleurs été prolongée jusqu’au 30 juin 2022. « Il est compliqué de tirer un bilan de cette réforme à cause de ces deux années de crise sanitaire. Les chiffres sont évidemment au rendez-vous avec plus de 700 000 contrats d’apprentissage signés en 2021, mais nous avons connu deux ans très particuliers avec notamment des aides mises en place par les pouvoirs publics », commente Jacques-Olivier Hénon, directeur des politiques de formation et de l'innovation pédagogique au CCCA-BTP. Aujourd’hui, l’apprentissage a le vent en poupe dans le BTP. En 2020-2021, l’effectif est en progression dans tous les métiers du secteur, avec, en particulier, un maintien de la progression du niveau 3 (CAP…) de 5,5 %, une accélération du niveau 4 (BP, bac pro…) de 8,5 % et un niveau 5 (BTS…) en croissance de 8,4 %.
Une image soignée et rajeunie
« L’apprentissage est un modèle en pleine extension tout d’abord car l’apprenti s’y retrouve avec la forte demande des entreprises du BTP. Cette filière propose une nouvelle image aux jeunes et un nouvel attrait. Ces derniers ont désormais plaisir à rentrer dans le monde du BTP. L’ascenseur social fonctionne parfaitement dans ce secteur : un jeune arrivant a devant lui un parcours complet pour se développer au maximum de ses capacités. La filière a également beaucoup travaillé sur son image et son attractivité », souligne Armel Le Compagnon, président de WorldSkills France.
150.000 recrutements à pourvoir d'ici à 2023
Face aux impératifs imposés par les transitions environnementales et numériques, le secteur de la construction fait également face à un fort besoin de main-d’œuvre pour les années à venir. Le CCCA-BTP estime en effet que le BTP aura besoin de 150 000 recrutements d’ici à 2023 et devra former des nouveaux entrants à un rythme deux fois supérieur à aujourd’hui. Pour atteindre cet objectif, le BTP s’appuie en grande partie sur l’apprentissage à travers des campagnes de communication.
La dernière en date, celle du CCCA-BTP s’intitule “La Construction. Demain s’invente avec nous”.
Cette campagne nationale s’adresse aux jeunes, pour leur faire découvrir la diversité et la richesse des métiers du Bâtiment et des Travaux publics et leur donner envie de rejoindre le secteur, en s’y formant par l’apprentissage. Lancée le 13 décembre 2021, elle se déploiera jusqu’au mois de juin 2022.
L'apprentissage dans la construction semble assurément avoir encore un boulevard devant lui avec notamment en point d’orgue les finales mondiales des Compétition des Métiers WorldSkills qui se tiendront en septembre 2024 à Lyon. La Fédération française du Bâtiment, la Fédération nationale des Travaux publics et le SMABTP ont déjà annoncé la formation d’une équipe de France des métiers du Bâtiment et des Travaux publics, chargée de représenter dignement le secteur.
Zepros : Quel impact a eu la réforme de l’apprentissage depuis trois ans ?
Jacques-Olivier Hénon : La crise sanitaire complique l’établissement d’un bilan. Nous ne pouvons pas affirmer que ces mesures auraient été appliquées sans elle. En tout cas, la réforme et les aides mises en place ont largement favorisé l’essor de l’apprentissage en France et notamment dans le secteur du BTP. Par exemple, depuis le 1er janvier 2020, autorisation administrative et convention avec la région ne sont plus nécessaires pour ouvrir un CFA. Cette mesure a entraîné la multiplication du nombre d’organismes de formation. Le maillage du territoire est ainsi renforcé mais à l’inverse, il est difficile de mesurer si la qualité de la formation a été améliorée. Concernant l’orientation des jeunes vers les métiers du BTP, les CFA notent une véritable hausse ces dernières années, encore plus depuis deux ans.
Franck Le Nuellec : En 2008, le secteur de la construction comptait 100 000 apprentis contre 87 000 en décembre 2020 après deux années de croissance à deux chiffres. En 2021, sur une croissance de plus de 13 %, nous devrions atteindre les 100 000 apprentis à nouveau. Quatorze ans plus tard, nous allons atteindre ce nouveau niveau historique après une perte de près de 40 % du nombre d’apprentis entre ces deux périodes. Durant cette période, le CCCA-BTP s’est également positionné comme un booster de l’attractivité du BTP avec de nombreuses campagnes pour séduire les jeunes vers les métiers du Bâtiment. En 2021, nous avons généré plus de 15 000 candidatures vers les organismes de formation. Cette année, nous allons lancé une campagne, conjointement avec l’Ademe, spécifiquement sur les métiers de la rénovation énergétique et de la transition écologique. Notre objectif est d’aiguiller plus de 50 000 candidats.
Zepros : Cette volonté d’attirer les jeunes vers les métiers du BTP passe aussi par des campagnes de communication comme “La Construction. Demain s’invente avec nous » lancée fin 2021”…
F. Le N. : Cette campagne a pour objectif de promouvoir les métiers du secteur. Il est nécessaire d’imprimer dans l’esprit du grand public que la construction a muté ces dernières années. Nous souhaitons toucher un large public, principalement les parents, les nouvelles générations et les personnes en reconversion professionnelle. De plus en plus de jeunes s’orientent vers les voies professionnelles du BTP après avoir suivi un cursus général. Une étude de l’Ademe a révélé que 6 jeunes sur 10 souhaitaient s’engager dans un secteur engagé vers une société plus durable. La construction suit cette logique depuis plusieurs années.
J.-O. H. : Le CCCA-BTP réalise un baromètre autour de l’apprentissage tous les trois ans avec en moyenne entre 35 000 et 45 000 jeunes interrogés. Au fil des années, nous nous apercevons que de plus en plus de jeunes s’orientent volontairement vers les métiers du BTP. Nous estimons qu’entre 70 et 80 % en première année de formation ont choisi ce secteur comme premier choix et non à la suite d’une réorientation par exemple. Ce chiffre était bien plus faible il y a 10 ans. De nombreux acteurs, même extérieur au secteur du BTP, le disent aujourd’hui : le BTP a gagné la bataille de l’apprentissage.
Zepros : Quels sont les prochains chantiers autour de l’apprentissage pour le CCCA-BTP ?
J.-O. H. : Notre stratégie est d’imaginer la formation professionnelle dans les dix prochaines années. Nous devons donc anticiper les évolutions en termes de ressources pédagogiques. Le CCCA-BTP a débloqué 25 millions d’euros par an pendant trois ans pour co-financer les équipements innovants dans les CFA du BTP. Nous voulons maintenir ces laboratoires de solutions notamment pédagogiques. L’autre projet majeur pour le CCCA-BTP est la formation immersive en partenariat avec 60 CFA pour produire 700 ressources accessibles autres CFA d’ici à trois ans. Cela peut prendre différentes formes : réalité virtuelle ou expérience interactive. 2024 va aussi être une année particulière. En plus de la tenue des finales mondiales des Worldskills prévues à Lyon, il y a également les Jeux Olympiques. Nous allons lancer dès septembre prochain une dynamique pour l’implication des apprentis du BTP à cette compétition.
Au coeur des finales nationales wordskills : voici les champions de France du BTP
Il régnait comme une ambiance de Jeux Olympiques au sein du site Eurexpo Lyon du 13 au 15 janvier dernier. Pas d’Usain Bolt ni de Teddy Riner à l’horizon, mais des jeunes plombiers, menuisiers, fleuristes ou encore mécaniciens automobile entourés par leurs entraîneurs et leurs supporters venus plus ou moins en nombre et arborant fièrement le drapeau de leur région en ce jour si important. Plus de 600 compétiteurs étaient réunis à Lyon pour ces olympiades qui mettent en valeur l’excellence de l’apprentissage dans 64 corps de métiers différents.
200 candidats différents
Tels des boxeurs, les jeunes professionnels entrent sur le ring ou plutôt dans leur box pour entamer leurs épreuves dans le cadre des Finales Nationales de la 46e édition de la Compétition des Métiers WorldSkills. L’objectif est clair pour ces jeunes compétiteurs : remporter l’or et se qualifier pour intégrer les futures Équipes de France des Métiers. L’une défendra les couleurs de la France lors de la compétition mondiale WorldSkills à Shanghai en octobre 2022, et l’autre à la version européenne EuroSkills à Saint-Pétersbourg en 2023.
Près de 50 000 visiteurs ont répondu présent pour cet événement malgré le contexte sanitaire actuel, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ont donné de la voix durant trois jours. « L’ambiance et le cru de ces finales nationales sont exceptionnels. Habituellement, elles se déroulent tous les deux ans. À cause du Covid, nous avons attendu trois ans pour les organisr, l’impatience était grande. Les candidats avaient envie de terminer de cycle de compétition pour envisager l’avenir avec beaucoup plus de sérénité », explique Armel Le Compagnon, président de WorldSkills France.
C’est dans le hall 3 que les métiers du Bâtiment et des Travaux publics ont été regroupés. Au total, 17 métiers étaient en compétition, plus un en démonstration, celui de la marbrerie design, et plus de 200 candidats étaient présents. À côté des espaces de compétition métier, les visiteurs pouvaient se rendre sur les espaces baptisés Skills Challenge comme celui mis en place par la FFPV (Fédération Française des Professionnels du Verre) autour de la miroiterie.
« Sur ce stand, nous présentons aux visiteurs le métier de miroitier. Nous essayons de les faire participer en leur présentant les différentes techniques comme la découpe, échenillage ou l’ébavurage. Il y a un vrai intérêt du grand public », nous expliquait un bénévole sur le stand. Cet engouement ne se retrouve pas seulement autour des Skills Challenge mais aussi autour des espaces de compétition métier où les visiteurs n’hésitent pas à interpeller les experts métier encadrant les épreuves ravis de répondre aux questions des plus curieux. « J’ai eu de grandes craintes il y a trois ans, car nous avons constaté une baisse des demandes d’apprentissage dans notre métier mais nous ressentons désormais une envie chez les jeunes de revenir vers ces métiers de finition dans le Bâtiment. Tous les nouveaux produits, plus techniques et plus esthétiques, aident nos jeunes à venir vers nos métiers. Les jeunes sont attirés vers ces professions artistiques et techniques tout en s’appuyant sur les nouvelles technologies. Il y a véritable engouement autour de l’apprentissage », souligne Davy Rezeau, expert métier en carrelage.
De la technique mais aussi de la concentration
Pendant que les visiteurs se baladent dans les allées, testent les métiers et observent, la compétition bat son plein au sein d’Eurexpo Lyon. « Pour l’instant, tout se passe bien pour moi. Nous avons la chance d’avoir des équipes pour nous accompagner. Concernant mon épreuve, je pense avoir réalisé une bonne maquette. Le travail du cuivre est proéminent dans cette épreuve.
Nous devons réaliser une installation de chauffage avec une installation solaire. La technique est importante, mais la concentration et la confiance en soi, c’est 70 % de l’épreuve », explique Tom Péant, candidat en Plomberie et Chauffage pour la région Bourgogne-Franche-Comté. Un peu plus loin dans le hall 3, Antoine Saint, médaillé d’argent lors de la compétition EuroSkills de Budapest en 2018 et Team Leader pour la région Auvergne-Rhône-Alpes observe attentivement ses potentiels futurs successeurs en équipe de France. « Avant la compétition, il faut imaginer tous les sujets possibles, car nous ne connaissons l’épreuve qu’une fois la compétition commencée. L’objectif est de ne pas être surpris le jour J. La préparation mentale est extrêmement importante. Au niveau professionnel, ce concours nous apporte énormément de maturité en seulement deux ans d’entraînement. Sur les chantiers, nous arrivons avec une vision différente de l’organisation et nous nous projetons plus facilement », détaille-t-il.
Objectif 2024
Après près de deux ans d’entraînement, plusieurs heures de compétition, une cérémonie de clôture riche en émotions, et de nombreuses médailles distribuées, l’heure est maintenant venue d’évoquer les prochaines échéances et notamment… 2024. En effet, dans deux ans, du 10 au 15 septembre 2024, Lyon accueillera les finales mondiales de la compétition avec au programme 90 pays, plus de 1 700 jeunes et près de 250 000 visiteurs attendus. « C’est un chantier exceptionnel avec des enjeux énormes pour tous les jeunes qui auront la chance d’y participer mais surtout pour l’image de la France et son niveau de la formation professionnelle. Les inscriptions pour les prochaines finales régionales ont été lancées le 4 novembre et nous sentons déjà un réel engouement et notamment pour la filière du BTP. Les organismes comme le CCCA-BTP ou Constructys, avec lesquels nous travaillons énormément, ont compris l’intérêt de susciter chez les jeunes l’envie de s’inscrire à ces compétitions. Cela créé une dynamique pour les métiers du BTP, pour les entreprises du secteur qui profitent ainsi d’une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée et pour l’épanouissement de ces jeunes », se réjouit Armel Le Compagnon, président de WorldSkills France. L’organisation espère ainsi doubler le nombre de jeunes compétiteurs en passant de 7 500 à 15 000 inscrits.
Les médailles d’or dans les métiers du BTP
Aménagement urbain et réseaux de canalisations : Ugo HUMBERT et Nicolas RENARD (Grand-Est) / Carrelage : Goulven LECOQ (Pays de la Loire) / Charpente : Charles NAVELOT (Hauts-de-France) / Construction béton armé : Manuel GAUDIN et Anthony BOSCH (Bourgogne-Franche-Comté) / Construction Digitale : Pierre LOIR (Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur) / Couverture métallique : Pierre TAISNE (Pays de la Loire) / Ébénisterie : Florentin LANCELEUR (Île de la Réunion) / Installation électrique : Quentin GALAIS (Pays de la Loire) / Maçonnerie : Thomas DEGRENDELE (Normandie) / Menuiserie : Maxime BLOQUE (Grand-Est) / Métallerie : Guillaume OSWALD (Pays de la Loire) / Miroiterie : Lilian VALLET (Auvergne-Rhône-Alpes) / Peinture et Décoration : Nancy MAURILLE (Pays de la Loire) / Plâtrerie et Construction sèche : Baptiste LAMY (Pays de la Loire) / Plomberie et Chauffage : Tom PEAN (Bourgogne-Franche-Comté) / Solier : Florian CURUTCHET (Nouvelle-Aquitaine) / Taille de pierre : Nino DELGADO (Île-de-France).