[2/2] Jour-J : le “drive-to-store” généralisé dès ce lundi 11 mai dans tous les négoces
L’acte 1 de la crise sanitaire s’achève. Avec le déconfinement gradué qui débute ce matin, la profession amorce un virage – plus ou moins long – vers un retour à une croissance “durable”. Quant aux gestes barrières d’hier, ils deviennent des gestes réflexes dans tous les points de vente. Petit tour d’horizon par posts interposés en images – et parfois en vidéo – d’une reprise qui reste encore timide.
Ils ont fait le job ! Et le D-Day que beaucoup attendaient est enfin là. Dans les LS, les cours matériaux, les entrepôts et les showrooms, le dialogue social a permis aux distributeurs d’optimiser les conditions d’une reprise raisonnée et sous haute sécurité.
Si la guerre contre le virus se poursuit, la France en rouge et vert est aussi engagée sur un autre front pour éviter qu’une récession économique ne prolonge trop longtemps les hostilités.
Depuis plusieurs semaines, enseignes intégrées et négociants indépendants ont été à pied d’œuvre pour préparer cette nouvelle bataille. Tous sont stimulés par un même esprit d’anticipation pragmatique. Parois, les médias grand public ont même mis à l'honneur la réactivité et le sens du service clients de certains grossistes. Illustration chez Master Pro : son adhérent versaillais, la Quincaillerie Revert, expliquait dans un reportage diffusé fin avril, lors d’un JT de 20 heures, les moyens mis en œuvre pour préparer le 11 mai. La semaine dernière, et plus encore au cours du week-end, les états-majors des enseignes et leurs équipes sur le terrain ont apporté la dernière main à leur plan de reconquête. D’ailleurs, ce week-end, la FNBM constatait « un quasi-retour à la normale » sur le front des ouvertures d’agences et dépôts bois-matériaux. À hauteur de 92 % des sites membres de sa fédération.
Du côté de l’Appro en second œuvre Bâtiment & Industrie, les chiffres peuvent grimper dès ce 11 mai jusqu’à 100 % selon les enseignes et les métiers. Chez les deux coleaders du matériel électrique et du multi-énergies, par exemple, c’est l’intégralité de leurs réseaux qui est opérationnel et toujours en mode hyper sécurisé – après avoir assuré, dès mi-mars, les urgences et dépanner les secteurs vitaux. Comme tous les autres acteurs du négoce Bâtiment, ils fixent avec attention la lente remontée en régime sur les chantiers. Selon les derniers chiffres de la FFB, l’activité était à un tiers de la normale fin avril (9 % un mois plus tôt), tandis que d'après Patrick Vrignon qui pilote le bureau de contrôle technique BTP Consultants, il devrait y avoir « 40 à 50 % de chantiers ouverts mi-mai ». Néanmoins, la reprise s’effectue avec « lenteur », « complexité » et des « surcoûts » que le président de la FFB, Jacques Chanut, appelle à partager « impérativement » entre tous les acteurs de la filière. Beaucoup de patrons de négoce sont d'accord sur un point. Tout l'enjeu des jours et semaines à venir portera sur la dynamique du redémarrage de l'économie. Mais quelle(s) case(s) cocher dans l'agenda commercial ? Courant juin ? Durant l'été ou plutôt cet automne, voire fin 2020... ? Chacun y va de son pronostic... avec prudence et vigilance.
EN PHOTO • Au 20 heures de TF1, le 29 avril, avec Jean-Paul Fréville, DG de la Quincaillerie Revert (adhérent Master Pro des Yvelines), son vendeur Menuiserie, Pascal Vallet détaille les mesures prises pour rouvrir les agences.
“Héros du négoce”
Après huit semaines d’une activité restreinte, voire très dégradée, c’est sans doute une ambiance de "rentrée des classes" qui risque de résonner dans les points de vente. Avec cet esprit potache qui a dû/pu manquer à beaucoup… Et bien que le télétravail ou le chômage partiel ne soit plus tout à fait la règle, les consignes de sécurité sanitaire et d’hygiène continueront de s’appliquer à celles et ceux qui retrouvent leurs collègues restés, eux, en première ligne pour continuer de servir au drive-in et livrer. À leur manière, les régiments volontaires de magasiniers, préparateurs de commandes, chauffeurs-livreurs, conseillers de vente auront été depuis le 23 mars les “héros du négoce” aux côtés de leur chef d’agence ou responsable de secteur. En somme, les premiers de cordées de la profession ! Depuis ce matin, ils renouent avec leurs collègues de visu – et non plus en visio – après une séparation forcée de… 55 jours. Énorme ! Et en même temps, le calendrier a parfois pu donner l’impression de s’accélérer. Pour beaucoup, le télétravail n’aura pas été une sinécure ; tant les frontières se sont effacées parfois ou, en tout cas, ont pu devenir floues entre la bulle privée et la sphère professionnelle. Et tant les dossiers à traiter, souvent dans l’urgence, se seront empilés sur la table du salon, dans la cuisine ou ailleurs.
Énergie vitale
À l’aube de cet acte 2 de la crise sanitaire, les questionnements, les interrogations sont légitimes, mais aussi nécessaires. Sociologues, économistes, politiques, experts de tout bord ou citoyens lambda en conviennent – chacun à sa façon : de bien des manières, ce “11-Mai” et le retour à une vie à peu près “normale” n’auront forcément pas tout à fait la même saveur que “l’avant-Covid”. Mais à lire sur LinkedIn, Twitter ou Facebook les commentaires bienveillants des uns, les messages d’encouragement d’autres, l’énergie semble bien là. Plus que jamais. D’autant que chez certains acteurs du BTP, cette crise systémique pourrait ouvrir des plaies plus profondes que la crise des subprimes, celles de l’épidémie de SRAS ou de la pandémie du H1N1. Toute la filière se retrousse les manches pour tenter de rattraper le temps et l’activité perdus.
Avec une seule formule à l’esprit – à l’image de Céline Tamaillon. Dans un courte vidéo postée le 7 mai par Sonepar France, cette directrice du marketing clients formule un vœu : l’espoir qu’« à la sortie de cette crise assez inédite, on retrouvera la même énergie pour être ensemble comme pour une victoire de la France lors d’une Coupe du monde de foot ! ». Dit avec sincérité et sobriété, son message s’adresse à tous : ses collègues, les entreprises clientes et son amont fournisseurs. D’ailleurs, dans les usines, certains fabricants sont restés sur le pont ce 8 mai pourtant férié. Un appel à la mobilisation générale « pour maintenir la production avec presque 100 % de collaborateurs volontaires aujourd’hui pour garantir à nos clients des délais de livraison les plus courts » indiquait ainsi l'un des leaders de la menuiserie-fermeture sur son compte Facebook. Quelques jours auparavant, le DG France d’un grand nom des systèmes d’isolation soulignait que « la relance sera bien sûr digitale, mais aussi et surtout verte et plus que jamais humaine », tout en évoquant « la chance en France de disposer des CEE* ». Dans un esprit similaire, un fabricant indépendant du Pas-de-Calais, spécialisé dans l’adduction d’eau potable et les réseaux secs, a appelé sur LinkedIn ses distributeurs partenaires, mais aussi les sous-traitants industriels à « avoir cette même envie de revenir à un… autre monde différent ».
* Ce 7 mai, le gouvernement a décidé d’ajuster le calendrier de la RE 2020 « pour tenir compte de l’impact de la situation sanitaire » : la publication des textes réglementaires (décrets et arrêté) interviendra « fin 2020 ou, au plus tard, au tout début de l'année 2021 » pour une entrée en vigueur de la réglementation « à l'été 2021 ».
EN PHOTO • Dans une vidéo postée le 7 mai par Sonepar France, sa directrice du marketing clients Céline Tamaillon explique sa vision du “négoce d’après”.
À l’écoute des nouveaux comportements
Cette capacité à s’adapter, tous les chefs d’entreprise, tous les managers d’équipe vont en chercher les clés. Quitte à heurter certains, une pléiade d’experts en coaching pose “la” question : « Faut-il réinventer le management ? ». Très vite après le début du confinement, Maâtura, un cabinet nantais de conseil en management a organisé plusieurs webinars sur le sujet. Sa « tribu » de conférenciers, coachs, formateurs et pédagogues a souhaité contribuer à poser « les piliers indispensables sur lesquels les managers devront s’appuyer pour être en capacité de s’adapter au “monde de demain” ». Avec un leitmotiv : « mettre à profit le potentiel des équipes pour sortir renforcés de ce contexte inédit ».
Sur les réseaux sociaux, Gaëlle Le Goffic, codirigeante de Maâtura, y va de son commentaire. « Le négoce depuis des années subit les changements de comportements d’achats clients. Les méthodes, le management ont peu évolué. Cette crise va accentuer son besoin de penser autrement, d’adapter sa démarche de vente. Ceux qui survivront et se développeront demain seront les plus agiles, les plus adaptables, ceux qui penseront d’abord “client”. Managers, il est grand temps de piloter vos équipes ! », interpelle-t-elle. En somme, un plaidoyer en faveur de l’intelligence collective ? En France, il y aurait déjà 27 % des patrons de grands groupes qui ont envisagé de créer la fonction de responsable des démarches d’intelligence collective, selon un sondage BVA-Bluenove (décembre 2018). Avec son triptyque “Bousculer-Former-Révéler”, si la consultante Gaëlle Le Goffic plaide pour plus d’agilité, il est aussi question d’attractivité de la marque-employeur. Depuis la crise sanitaire et la réorganisation en accéléré des négoces autour du drive-in entre autres (un format chronophage, pour l'instant, en termes de ressources), les enseignes ont intensifié leurs publications d’offres de recrutements ; notamment sur les fonctions logistique, commerce, mais aussi achats.
Effet cliquet sur le digital
Si les budgets 2020 des enseignes ont été construits avec des perspectives de croissance, le confinement a pris très vite « des allures de laboratoire », constate l’Ifop. Dans un dossier spécial diffusé mi-avril sur les effets de la crise sanitaire, l’institut d’études d’opinion et marketing juge que « cette situation inédite nous a converti malgré nous en cobayes. Nos nouvelles habitudes vont-elles nous transformer durablement ? » Passant en revue plusieurs tendances chez les consommateurs BtoC (renouveau du DIY ; accélération des circuits courts, des offres éco-responsables et de la digitalisation des parcours clients), l’Ifop y décèle aussi l’émergence des bouquets de services virtuels monétisés ou pas : boum des téléconsultations médicales, cours de gym, séances de coaching… Suscitées par la mise en quarantaine des Français, certaines de ces nouvelles habitudes ont déjà mis un pied chez les grossistes du BtoB. Quant aux réseaux sociaux, deviendront-ils « les magasins de demain ? », s’interroge Sociovision dans son Observatoire France 2020-2021. Dans le contexte exceptionnel du coronavirus, Instagram (la plateforme préférée des ados… d’aujourd’hui) a déjà musclé ses services E-commerce pour ne plus être seulement un simple canal de visibilité des marques. Après la gestion de crise, l'ensemble du négoce aura une pléiade de questions à résoudre. À commencer par l'évolution des habitudes d’achat des clients BtoB et BtoC. Consultant en retail et expérience client chez Equancy, Nicolas Rebet se veut toutefois rassurant pourtant. Dans une récente tribune sur LSA-conso, il évoque « la résilience des [...] groupes durant des crises majeures : réinventer leurs modèles et faire émerger très rapidement des solutions qui auraient mis des mois à éclore en temps normal »… Un mal pour un bien ? Stéphane Vigliandi