[Covid-19 & Résilience] Comment Legallais traverse cette crise
[Zepros Négoce] Basé dans le Calvados, le distributeur omnicanal est pour la première fois depuis trente ans dans le rouge. Mais il compte sur son modèle de développement « original » pour faire le dos rond.
À Hérouville-Saint-Clair où siège l’ETI normande, l’heure est à constater « les dégâts » causés par 55 jours de confinement. « Aujourd’hui [au 15 mai], notre volume d’activité n’a bien sûr rien à voir comparé aux premiers jours de l'état d'urgence sanitaire. Mais le chiffre d’affaires entre mi-mars et fin mars avoisinait à peine le tiers de ce qu’il devrait être en temps normal. Sur la première quinzaine de mai, nous restons clairement dans un territoire négatif avec, malgré tout, une activité qui est revenue environ aux deux-tiers d’un rythme habituel », constate Philippe Nantermoz, le DG de Legallais. Après avoir repris son capital en main en juillet 2019*, le multispécialiste en quincaillerie, plomberie, outillage et EPI avait construit son budget 2020 dans l’optique d’un nouvel exercice en croissance. Autrement dit, une “marche” supplémentaire pour un groupe dont le volume d’affaires (284 M€ en 2019, à +6 % hors intégration de Gérard & Peysson) a été multiplié par près de neuf depuis le début des années 1990. « En cumul sur les quatre premiers mois de 2020, notre chiffre d’affaires est à -15 %. Heureusement, le début de l'année avait été extrêmement dynamique [environ +11 % en cumul à la mi-mars] », rappelle le dirigeant. Un grand écart que l’historique quincaillier de Caen n’avait jamais connu en trente ans ! « Même lors de la crise de 2008-2013, nous avions réussi à nous maintenir dans le “vert”. Actuellement, il semble assez compliqué de pouvoir rattraper le retard accumulé avec le confinement », estime-t-il.
* Depuis la sortie de la société d’investissement Gimv, le capital du groupe est détenu par la famille Legallais, son président Philippe Casenave-Péré (±40 % chacun) aux côtés du management et d’un fonds régional normand.
EN PHOTO • Philippe Nantermoz, directeur général de l'enseigne Legallais.
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Entre réunions de crise par visioconférence, séances de crash tests et de stress tests, il reste difficile pour la distribution Bâtiment de dire dans quel sens et à quelle force le vent pourra à nouveau souffler. Momentanément, tous les réseaux de distribution BtoB ont dû réduire la voilure avant de commencer à préparer le 11 mai. Si les six points de vente stratégiques de Legallais étaient restés ouverts, les dix-huit autres dépôts n’ont complètement relevé le rideau que depuis une dizaine de jours. Entre temps, il a fallu revoir les process : des horaires aménagés, la gestion de la relation clients en télétravail, etc. Dans une vidéo postée le 19 avril, Loïc Adriaenssens (directeur commercial), Sandrine Graizo (directrice logistique), Kemël Chennouf (logisticien), Véronique David (cheffe d’agence) et un client Mickaël L. y détaillaient l’organisation Covid. Aujourd’hui, « la quasi-totalité de nos 1 100 collaborateurs est sur le pont, mais beaucoup sont encore en télétravail ou en activité partielle », convient Philippe Nantermoz. Reste que ce 11 mai n’était « pas forcément une date-butoir en soi » pour son réseau qui n’adresse essentiellement les professionnels. « Tout était calibré depuis plusieurs semaines pour anticiper une montée en charge des commandes », note-t-il. Du coup, le 11 mai dernier, « seule une quarantaine de salariés volontaires supplémentaires » a rejoint le reste des équipes – principalement au centre de gestion de la relation clients et à la logistique.
EN PHOTO • En dépit d’une nécessaire distanciation physique dans les 24 agences Legallais, comme ailleurs, la crise sanitaire aura sans doute permis de... « "rapprocher" un peu plus » les équipes internes et leurs clients.
Juin 2020 dans le viseur !
Depuis fin mars, Philippe Nantermoz a souvent martelé que « la sortie du confinement sera le début de la crise économique ». Chaque semaine, les prévisions avancées par les experts virent un peu plus du rouge clair au plus foncé. Qu’il s’agisse des indicateurs avancés de Bercy ou de la Commission européenne, la France sera l’un des quatre pays de l’UE à payer le plus lourd tribut de la crise sanitaire – après la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Cette année, l’activité du pays devrait plonger de -8,2 %, tandis que le déficit bondirait à 9,9 % du PIB et la dette publique exploserait à 116,5 % (vs 8,5 % et 102,7 % dans la zone euro). « Avec de tels chiffres, où situer le possible début d’une sortie de récession : dans trois, six, voire douze mois ? Quels peuvent être les impacts réels sur les marchés du BTP, la commande publique et privée ? Avec un taux de chômage qui pourrait repasser au-dessus des 10 %, c’est une chute brutale qui pourrait aussi affecter durant plusieurs mois le marché de la rénovation (notre cœur de cible) », s’interroge-t-il sans vouloir pour autant jouer les Cassandre. Et de rappeler que « nous sommes sur des métiers où les charges d’exploitation restent élevées et les rendements souvent inférieurs à la moyenne nationale… »
Ce week-end pourtant, à la lecture de la 7e vague du baromètre de BTP Consultants, Philippe Nantermoz y est allé, lui aussi, de son commentaire sur LinkedIn : « Nous sommes sur la bonne voie… Bonne reprise à tous ». Dix mots qui résument l’état d’esprit de toute une filière dans les starting-blocks et attend avec impatience de voir ce qui se passera en juin. « Actuellement, les entreprises clientes utilisent les marchandises commandées pour l’essentiel début 2020. Mars et avril se sont soldés en grande majorité par des achats d’urgence et de dépannage. Juin pourrait être un bon indicateur sans préjuger pour autant de la suite... », confie-t-il.
Petite “(r)évolution” dans les EPI ?
Avec la crise sanitaire, les équipements de protection, de sécurité et les consommables affichent des scores de ventes élevés chez une majorité de négoces spécialisés ou généralistes. « C’est un vrai ballon d’oxygène par rapport au chiffre d’affaires budgété sur 2020. Tant que les protocoles Covid-19 seront de rigueur sur les chantiers, cet univers restera implanté aux avant-postes, admet le dirigeant. Les agences ont remonté l’offre de la zone chaude aux abords des comptoirs, voire dès l’entrée des agences. » Au jour le jour, le service Achats a dû s’adapter pour élargir le plan de vente : masques chirurgicaux, hygiaphones en Plexiglas, signalétique, distributeurs automatiques de gel hydroalcoolique, etc. Sur le marché des EPI, beaucoup de grandes marques et fournisseurs ont été monopolisés pour servir les secteurs prioritaires. « Il a fallu revoir en partie notre sourcing pour être rapidement approvisionné. Ces nouveautés au catalogue vont-elles devenir des permanents ? En ressortiront-elles ? Le cas échéant, ce serait une bonne nouvelle : le signe que le coronavirus a pu être éradiqué… », espère Philippe Nantermoz. En attendant, les trois analystes crédit et crédit-managers de l’enseigne auscultent à la loupe les demandes de report d’échéance et les risques d’impayés. « Pour l’instant, il n’y a pas d’explosion sur ce front-là. C’est même en-deçà de ce que l’on pouvait imaginer au début de l’état d’urgence. Mais au fil des semaines, les trésoreries des entreprises pourraient être mises à rude épreuve (retards ou reports de chantiers, baisse de productivité et des rendements…) », estime-t-il tout en revendiquant « la résilience de Legallais basé sur un modèle de développement original : notre engagement sociétal et environnemental ». Après tout, le groupe normand – labellisé “Great place to work 2018” dans sa catégorie – a traversé deux guerres, des récessions majeures et surmonté un dépôt de bilan une certaine année… 1984. Stéphane Vigliandi
EN PHOTO • L’enseigne a lancé deux boutiques on-line : “Protégez-vous” et “Adaptez vos bâtiments”. Solutions d’agencement, d’électricité et de plomberie pour assurer la distanciation, vitres de protection, poignées de porte sans contact, etc. : elle y regroupe les essentiels pour « une reprise d’activité complète et sécurisée dans le respect des mesures sanitaires ».
EN PHOTO • Quand les 24 agences Legallais deviennent un vaste, mais obligatoire labyrinthe sécurisé au temps du Covid-19.
UN COUP D’ŒIL SUR...
• La “météo des chantiers by BTP Consultants” → Récapitulatif de 7 semaines de reprise partielle (Chiffres du 04/04/2020 au 16/05/2020)