RSE • « Il y a urgence à éclairer les consciences ! »
Après avoir dirigé l’enseigne Legallais depuis plus de dix ans, Philippe Nantermoz poursuit son action en matière de RSE en tant que consultant et conférencier. Puisant entre autres dans son expérience passée en distribution, il détaille les grandes lignes de sa vision et les leviers à activer pour que les entreprises accélèrent leur transformation écologique. Avec la volonté affichée de créer un électrochoc !
Je ne suis pas parti en retraite comme certains le pensaient ! Au contraire, je vis une période très active avec trois principales activités : business angel auprès de start-up que j’accompagne désormais de manière plus active en tant qu’entrepreneur, consultant et administrateur indépendant au sein de conseils d’administration pour des ETI et – surtout – une activité de conférencier en entreprises, ainsi que pour des organisations professionnelles.
Mes parents m’ont transmis des valeurs liées au partage dans un esprit très humaniste et chrétien. Très jeune, j’ai défini ma raison d'être personnelle lors d’un entretien pour intégrer une grande école de commerce : “Être heureux et rendre heureux”. Ce fut pour moi un acte fondateur dans lequel je me retrouve trente-cinq ans après ! Au sein de Legallais, comme dans d’autres enseignes où j’ai travaillé, je me suis toujours attaché à faire émerger et mettre en valeur ces raisons d’être auprès des collaborateurs.
« Nous ne pouvons pas continuer à nous développer avec le modèle économique actuel. »
Incontestablement la transformation vers un monde plus… “durable”. Nous ne pouvons pas continuer à nous développer avec le modèle économique actuel. Il mène l’humanité à sa perte ! Les organisations, entreprises et collectivités sont à la fois l’une des principales sources du dépassement des limites planétaires. Mais elles sont aussi sources d’une bonne part des solutions pour y remédier. Encore faut-il qu’elles prennent conscience du rôle nouveau qui leur est demandé par l’ensemble des parties prenantes : adopter un modèle d’affaires durable et contribuer au bien commun. Je constate malheureusement une forte inertie en la matière. Le réveil pourrait bien être difficile pour ceux qui n’agiront pas au cours des prochains mois.
« Il n’est plus temps d’une “transition” douce. Les entreprises doivent prendre des décisions radicales. »
En effet il s’agit de mes sujets de prédilection autour de la RSE avec une composante importante liée à la transformation écologique des entreprises et la marque employeur. Sur ce second point, Legallais a su se doter d’une raison d’être bien avant les autres, d’une image très forte sur le marché. Signataire du Global Compact de l’Onu dès 2009, l’enseigne a fédéré ses salariés autour de la notion de partage de la valeur créée.
En 2019, elle est entrée dans le club restreint des entreprises labellisées “Great place to work”. Sa fondation créée fin 2010 a accompagné, rien que l’an dernier, 44 associations en faveur de l’accès au logement et de l’insertion professionnelle.
En termes d’achats responsables, Legallais travaille déjà avec 600 fournisseurs qu’elle a souvent contribué à faire évoluer et dispose d’une e-vitrine dédiée aux produits écoresponsables.
Sur la transformation écologique ensuite, les enjeux sont stratégiques pour l’ensemble des acteurs économiques. Rendre l’entreprise plus durable, engager fortement ses collaborateurs… : aucune entreprise n’échappera à une réflexion sur ces dossiers de fond. Pour paraphraser Winston Churchill, je dirais que “Soit nous prenons le changement climatique par la main, soit il nous prendra à la gorge !”*.
* La citation exacte de Churchill est « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il nous prenne par la gorge ».
Tout simplement parce qu’il n’y aura aucune transition ! La transition suppose de passer d’un état à un autre de manière lente et graduelle. Les conséquences du dérèglement climatique nous imposent une vraie révolution. Avec les Accords de Paris**, les pays ont pris collectivement des engagements de baisser de près de 50 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
Récemment, António Guterres, le secrétaire général de l’Onu, rappelait que, sur la base de la courbe actuelle de notre croissance économique, nous serons à +14 % et non -50 % en 2030 ! Les conséquences seraient catastrophiques. Ce n’est pas plaisant à dire ou à lire, mais nous n’avons plus le droit d’ignorer la réalité de la science. Le sommet de la Terre à Rio, c’était il y a trente ans.
À l’Onu, lors du IVe sommet de la Terre en 2002, Jacques Chirac martelait que “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs !”. Nous n’avons pas agi suffisamment depuis. Il est plus que temps d’agir fortement. Il n’est plus temps d’une “transition” douce. Les entreprises doivent prendre des décisions radicales. Or, bien souvent, elles n’en prennent pas le chemin…
** Pour limiter la hausse des températures à 1,5°C tant dans les pays développés qu’en voie de développement (contrairement aux accords de Kyoto de 1997), la COP 21 de décembre 2015 a acté que les émissions de GES doivent atteindre le “niveau net zéro” dès la seconde partie du XXIe siècle.
« Souvent les dirigeants d’entreprise sont très loin d’avoir mesuré les bouleversements qui attendent leurs sociétés d’ici trois à cinq ans. J’agis souvent en tant qu’électrochoc auprès d’eux. »
Tout d’abord, il faut s’informer, apprendre et chercher à comprendre à quel point leurs activités vont être “disruptées” par la transformation de leur business model. Il y a quinze ans, j’expliquais souvent que le digital bouleverserait le commerce. Aujourd’hui il est très clair que les dérèglements climatiques, la rareté de l’énergie et des matériaux sont des éléments clés à prendre en compte dans une stratégie d’entreprise. Première étape : se sensibiliser à ces questions.
Je forme de nombreux Codir ou Comex à comprendre l’évolution d’un monde en plein(s) bouleversement(s). Beaucoup de dirigeants et managers pensent savoir. Je constate qu’ils sont souvent très loin d’avoir pris la mesure des changements qui attendent leurs sociétés au cours des trois à cinq prochaines années. J’agis souvent en électrochoc auprès d’eux.
Deuxième étape : mesurer précisément, grâce à un bilan carbone, ses émissions de CO2 sans quoi il est impossible d’agir. Les règles ont récemment changé. Les entreprises devront désormais prendre en compte l’ensemble de leurs émissions. En termes techniques, on parle de “scope 3” [l’un des trois périmètres pour calculer son bilan carbone et intégrant toutes les émissions de GES directes et indirectes : Ndlr]. Cela modifie profondément le calcul des émissions.
La troisième étape a trait à la réduction de toutes les émissions, le travail sur l’allongement du cycle de vie des produits, sur leur recyclage et la réemployabilité, etc. La communication ne vient qu’en dernier. Pourtant, aujourd’hui encore, il y a encore beaucoup trop de greenwashing sur ce sujet.
Chez les jeunes, la RSE fait clairement partie des éléments clés de la marque employeur et du don de sens attendu. Dans les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, les programmes pédagogiques commencent à aborder cette notion fondamentale. À cet égard, les entreprises se doivent d’anticiper leurs besoins pour intégrer des spécialistes dédiés à la RSE, comme c’est déjà le cas avec les data scientists entre autres. En clair, lorsque je donne des conférences en entreprises et en milieu universitaire, mon rôle est en somme d’éclairer les consciences. Propos recueillis par Marie-Laure Barriera et Stéphane Vigliandi
Zepros organise en partenariat avec Philippe Nantermoz une journée de conférences, de réflexions et d'échanges autour de l’Entreprise Durable. Nous reviendrons très vite vers vous pour vous apporter plus d’informations. Mais, d'ores et déjà, pour en savoir plus, cliquez ici.