Assurance-crédit : « Enfin vers un probable déblocage de la situation ? », Franck Bernigaud (FNBM)

Stéphane Vigliandi
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[Zepros Négoce] À l’issue de la première semaine de déconfinement, le président de la Fédération du négoce de bois et matériaux (FNBM) livre son regard sur « un retour presqu’à la normalité » dans les 5 500 agences qu'il représente. La profession n’est, pour l'instant, pas confrontée à des défauts de paiement en cascade. Pourtant, dans la filière du BTP, le risque de “corona-faillites” pourrait enfler quelques semaines seulement après la fin de l'état d'urgence sanitaire prolongé jusqu'au 24 juillet. À moins que… Le point avec Franck Bernigaud.

À NOUVEAU 100 % DES POINTS DE VENTE OUVERTS

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Franck Bernigaud : Désormais, notre profession est quasiment en ordre de marche en totalité. À l'exception des grandes métropoles régionales où la reprise d'activité du BTP demeure encore partielle, ce sont 100 % des réseaux qui sont opérationnels avec, parfois, une partie des équipes encore en chômage partiel – essentiellement pour des raisons de garde d’enfants ou de pathologies bénignes. Parmi toutes les informations recueillies par la FNBM entre les 11 et 15 mai, il faut rappeler que certaines enseignes, certains dépôts fonctionnent toujours avec des horaires restreints.

Les tout derniers négoces ont rouvert ce lundi 18 mai. Nous n’avons pas encore d’estimations consolidées de l’activité des distributeurs sur la première quinzaine de mai, ni les chiffres définitifs sur avril. Mais, le mois dernier, le volume d’affaires aurait été dans l’ensemble moins mauvais que ce à quoi on pouvait s’attendre : avec des moyennes de l’ordre de 60-65 % (par rapport à avril 2019) et jusqu’à des niveaux proches de la normale. Dans ce dernier cas, il s’agit avant tout de points de vente implantés en zone rurale avec lesquels tout un réseau de TPE et PME artisanales n’a jamais cessé de travailler depuis mi-mars. À mon avis, leur poids a – peut-être ? – été sous-évalué dans les divers indicateurs publiés depuis le début de la crise sanitaire.

EN PHOTO • Pour Franck Bernigaud, président de la plus importante fédération du négoce Bâtiment, il faudra « vraisemblablement » attendre la rentrée ou l’automne prochain pour avoir « une photographie des éventuels dégâts » qui auront pu être causés dans la filière du BTP. Pour mémoire, 83 % du parc commercial des réseaux membres de la FNBM avait rouvert le 30 avril dernier ; 92 % au 7 mai et proche des 100 % ce vendredi 15 mai.

DES TENSIONS SUR LES “APPROS” ?

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F. B. : Aujourd'hui, tout notre amont a relancé les lignes de fabrication. Mais l’activité demeure là aussi encore partielle côté production et, parfois, au niveau commercial. Les délais de livraison se sont logiquement rallongés ; l’industrie du BTP étant encore dans une période transitoire. Par exemple, chez les tuiliers, il y a aujourd'hui des tensions sur certains modèles de tuiles. Il faut un certain temps pour redémarrer un four à l’arrêt quelques semaines et échelonner les plans de charge [certaines marques n’ont, par exemple, relancé leurs services logistiques que mi-avril].

La situation chez des fournisseurs de treillis, armatures métalliques et poutrelles précontraintes me semble plus préoccupante. J’ai constaté des délais de livraison plus importants en raison des procédures de chargement/déchargement bien sûr plus longues pour respecter les protocoles sanitaires. À terme, ce peut être un frein pour livrer des chantiers en planchers par exemple. Des chefs d’agence peuvent aussi être confrontés à des temps de réponse un peu plus importants de la part des commerciaux chez les fabricants dont certains sont aujourd’hui encore en temps partagé. Tout cela peut créer des points de friction pouvant ralentir un redécollage de l’activité. Mais, durant toute la séquence du confinement, nous avons eu des contacts fréquents avec l’AIMCC et nos fournisseurs ont globalement répondu présents aux côtés du négoce.

EN PHOTO • Bataille de chiffres entre Bercy et la Rue de Varenne ? Sur BFM TV, le 12 mai, à quelques heures d’intervalle, Julien Denormandie (ministre chargé du Logement) se fixe « un objectif très ambitieux avec la reprise de l’ensemble des chantiers d’ici la fin du mois ». Ce 17 mai, il a avancé le chiffre de 72 % de chantiers sur Europe 1. À l’Économie et aux Finances, Bruno Le Maire, lui, a « bon espoir que, d’ici [fin mai], 50 % des chantiers aient repris ». Ici, Julien Denormandie et Muriel Pénicaud (ministre du Travail) visitent le 12 mai le chantier d’un écoquartier à Montévrain (77) avec Jacques Chanut, le président sortant de la FFB.

UN “NOUVEAU” NÉGOCE EN ROUTE ?

F. B. : Sans doute était-il temps que le confinement se termine car les équipes volontaires ont été extrêmement sollicitées pour gérer les commandes avec une pression sans répit pour traiter les mails et les appels téléphoniques, préparer les marchandises, servir au drive, etc. Avec le drive sans contact, certains négoces ont pu être sous tension en termes de moyens humains et de coûts d’exploitation. Mais la formule a eu – pour l’instant – un “effet booster” sur le ticket moyen [un effet non récurrent en termes de CA] par rapport aux enlevés durant une période normale. Face à des acteurs très structurés, certains indépendants devront sans doute mieux organiser et automatiser les process du click & collect – ce qui nécessite de la ressource (effectifs salariés, informatique back et front-office, etc.). Sans doute faudra-t-il aussi que la profession puisse revoir les modalités en termes de facturation des livraisons. De longue date, cette prestation n'est valorisée qu'à hauteur de 30-35 % de son coût réel.

LA QUESTION DES SURCOÛTS COVID-19

F. B. : Si les fédérations de notre aval [Capeb, FFB, FNTP…] se sont déjà saisies de la question d’une juste répartition de ces nouveaux surcoûts sanitaires, le négoce a lui aussi des frais d’exploitation supplémentaires liés, entre autres, à l’aménagement des horaires en agence entre fin mars et début mai, à l’achat de fournitures (masques, solutions ou sprays hydroalcooliques, hygiaphones…). Par exemple, dès la réouverture le 23 mars de mon entreprise [±25,6 M€ de CA], j’avais fait un investissement immédiat de l’ordre de 20 k€ pour équiper les salariés et mes 5 agences. Légalement, la profession ne peut pas créer une contribution Covid-19 [à l'image de la taxe gazole] pour la répercuter sur ses prix de vente – contrairement à ce que peuvent faire, par exemple, les entreprises du Bâtiment sur leurs devis de prestation.

ASSURANCE-CRÉDIT : VERS UNE… RÉCONCILIATION ?

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F. B. : Bien que l’État ait activé le dispositif de réassurance publique sur les encours [10Md€ au titre du CAP et du CAP+], les assureurs-crédit se sont livrés à une politique quasi-systématique de radiation des couvertures dans notre profession notamment. Depuis le courrier* que j’ai adressé à Bercy le 22 avril, ils semblent camper sur leurs positions malgré les échanges que nous avons pu avoir. Chez certains, il y a toutefois une volonté de faire un pas.

Mais, aujourd’hui, nous restons dans un entre-deux. Durant cette période compliquée, le négoce fait pourtant vraiment preuve d’abnégation et de foi en l’avenir. Il ne serait pas normal que nous soyons pénalisés ! Une entreprise dont la trésorerie n’est pas sécurisée est en danger. Il existe un réel risque de précipiter des entreprises déjà fragilisées vers la défaillance. Je pense, cependant, que nous avons été bien entendus par Bruno Le Maire.

* Dans sa lettre au ministre de l’Économie, la FNBM cite le modèle allemand où l’État garantit 100 % des encours inter-entreprises ; tout comme la Belgique.

EN PHOTO • Dans un communiqué du 6 mai, l’ACPR (le superviseur financier des assureurs) a indiqué lancer « une enquête thématique sur les garanties en perte d’exploitation » dont les premiers enseignements seront soumis à son collège en juin et juillet. De son côté, Bercy travaille avec la Direction générale du Trésor pour revoir les règles prudentielles de l’assurance, la bancassurance et l'assurance-crédit. Les premières propositions sont attendues d'ici à une dizaine de jours.

BOUM DES IMPAYÉS ET DÉFAILLANCES À VENIR ?

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F. B. : Pour l’instant, le volume des défauts de paiement n’a pas explosé. D’une manière générale, les clients qui ne respectent pas leurs échéances depuis le début de la crise sanitaire, sont ce que j’appelle “les habitués du palmarès”. À la lecture des indicateurs portant sur les niveaux de défaillances, les dossiers de redressement et liquidation judiciaires ou de procédures de sauvegarde, la déferlante que nous pouvions craindre ne s'est pas encore produite. Si le danger ne semble pas imminent, le feu pourrait virer de l’orange au rouge à partir de la rentrée ou de l’automne ; notamment pour des sous-traitants de grands donneurs d’ordres et des PME qui ont pourtant su faire preuve de résilience jusqu'à présent.

(Propos recueillis par Stéphane Vigliandi)

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