Nouvelle réglementation : permis de (dé)faire ?

Marc Wast
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C’est un livre blanc qui fait voir rouge beaucoup de professionnels de la filière bâtiment. Au moment où le “permis de faire - ou d’innover” risque de remettre en cause certaines bonnes pratiques acquises depuis les deux dernières réglementations thermiques, le Pôle Énergivie actionne la sonnette d’alarme pour éviter que les nouveaux standards, promis par la RE 2020, n’aient des conséquences graves pour les bâtiments à construire.

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Ce livre blanc, qui doit servir de base pour entretenir le dialogue avec le gouvernement au sujet du “Permis de Faire”, est une synthèse efficace et pleine de bon sens commun, pourrait-on dire. Il fait le tour de différentes questions en termes de qualité du bâti, d’économies d’énergie et de santé pour expliquer les enjeux de la nouvelle réglementation actuellement à l’étude. Alors que l’expérimentation E+C-, malgré sa légitimité dans le cadre de la réduction drastique des émissions carbonées, donne souvent la migraine à la filière, et plus spécialement aux fabricants de matériaux et d’équipements qui doivent calculer l’empreinte carbone de leurs productions sur leurs cycles de vie, beaucoup d’observateurs craignent un retour en arrière avec la future application de ce Permis de Faire.

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Retour à la valeur verte
En effet, nombreux sont les professionnels du bâtiment qui constatent un écart entre les performances réelles des logements et celles calculées par la réglementation thermique actuelle, la RT 2012. Les retours d’expériences des maitres d’ouvrage, maitres d’œuvre, entreprises et assureurs, indiquent que les exigences des précédentes réglementations n’ont pas été systématiquement atteintes et donc respectées. La performance énergétique actuelle des bâtiments n’étant pas celle escomptée par la réglementation thermique, le seul focus environnemental de la future RE 2020 risque d’occulter les ajustements à apporter pour corriger les défaillances thermiques constatées.
Assurer un bon niveau de performance énergétique de l’enveloppe du bâtiment induit des conséquences positives sur le retour du pouvoir d’achat. La “valeur verte” du bâti est ainsi augmentée. Outre l’évolution positive de la valeur intrinsèque du bien immobilier, les frais d’exploitation diminuent, parfois dans des proportions non négligeables. De plus, les générations futures feront l’économie des coûts de rénovation importants tels que les ménages et les bailleurs sociaux le subissent actuellement. Car, dans la pratique, le manque d’information et d’encadrement sur certaines technologies ou techniques de mise en œuvre peut mener à une baisse de la qualité intrinsèque du bâtiment qui entrainera des désordres, voire des sinistres pour certains irrattrapables ou des rénovations très onéreuses dans le temps. Deux critères dans la construction ou dans la rénovation d’un bâtiment seront pris en compte : le coût et la facilité de mise en œuvre. La mise en place d’isolation thermique par l’extérieur (ITE), par exemple, est soumise à des normes restrictives et peut se révéler délicate à mettre en œuvre. Ainsi, des solutions comme le changement des menuiseries ou le remplacement des équipements techniques pourront être privilégiés, certes plus simples, plus rapides et économiques sur le court terme, mais n’apportant pas de solutions efficaces et pérennes. Ces questions primordiales auront des conséquences à tous les niveaux du projet, depuis la conception, la réalisation, l’exploitation et même jusqu’à la fin de vie du bâtiment.
Entretien avec Quentin Barbe, chef de projet “processus et systèmes constructifs” au Pôle Énergie Vie et qui a animé le groupe de travail.
RE 2020, un véritable enjeu« Nous voulions dès le départ impacter les réflexions fort avancées de la RE 2020 », explique-t-il. Durant une année, la quinzaine de participants s’est réunie une fois par mois. La problématique est simple : « 75% des gens ont le sentiment d’avoir froid dans leur logement. La valeur prise en compte est la température opérative, un mixte de l’air, des surfaces de l’habitation et des conséquences des ponts thermiques, bref de l’ensemble des défauts d’isolation dans l’enveloppe », explique Quentin Barbe.
« Il y a donc un enjeu d’inefficacité des bâtiments existants en fonction de leur anciennement certes, mais dans les bâtiments récents, cette inefficacité des dispositifs n’est pas acceptable compte tenu de tous les moyens et de la réglementation mis en œuvre depuis la RT 2005 ». En conclusion, l’équipe a souligné que « si les bâtiments respectent les normes de façon globale, dans le détail, il y a d’importants défauts d’isolation tout en restant globalement acceptables », CQFD.
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Or, chacun sait que le diable est dans le détail… Aussi, le groupe de travail a formulé trois grandes propositions : d’abord réduire le coefficient psi 9 à une valeur maximale moyenne de 0,5, contre 0,6 dans la RT 2012 ; ensuite réintroduire le coefficient UBAT qui caractérise la conductivité thermique par type de parois, par élément constructif, l’indicateur Bbio de la RT 2012 étant une moyenne trop générale de l’efficacité thermique ; enfin mettre en œuvre la méthode de validation par étape du commissionnement à travers le déploiement et l’utilisation effective du BIM permettant un contrôle permanent de la qualité énergétique, de l’emploi des matériaux comme des savoir-faire.Au final, « le groupe de travail souhaite que ces propositions soient intégrées dans la RE 2020 ». Si les services de l’État n’ont pas été associés en tant que tels au Livre blanc, des rencontres avec les ministères sont d’ores et déjà programmées en février. D’après Quentin Barbe, « les professionnels, les fédérations concernés de la filière bâtiment et construction et les membres des pôles de compétences ont accueillis positivement les conclusions du Livre blanc ». De quoi être optimiste pour l’avenir !
RÉACTIONPour l’association Le Mur Manteau, l’absence d’objectifs quantitatifs ainsi qu’une rédaction extrêmement floue du projet de décret sur le permis d’innover ouvrent la voie à une dégradation de la qualité du bâti. Alors que selon l’observatoire climat énergie, les émissions globales de GES du secteur du bâtiment ont dépassé de plus de 22 % les objectifs assignés en 2017, le gouvernement doit impérativement préciser ce décret s’il souhaite respecter les accords de Paris. C’est pourquoi le Mur Manteau appelle le gouvernement à un sursaut et à veiller à ce que le permis d’innover ne se transforme pas en permis de contourner les règles actuelles du code de la construction. La mise en œuvre d’objectifs chiffrés est un impératif et l’association propose, pour empêcher tout retour en arrière sur la performance énergétique des bâtiments, que le décret impose le respect, au minimum, d’un objectif de BBIO à 50.
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PONTS THERMIQUES ET QUALITÉ DE L’AIR INTÉRIEURNotre système constructif principal, avec isolation par l’intérieur, connaît un point faible de taille ; les ponts thermiques au niveau des points singuliers d’un bâtiment : jonctions des dalles, des menuiseries, appuis de fenêtres, décrochements des façades… C’est pour cette raison que les industriels ont développé à grande échelle, depuis la RT 2005, des rupteurs de ponts thermiques qui sont capables d’isoler le bâti de façon totalement homogène. À noter que cette problématique reste inconnue quand on utilise une isolation thermique par l’extérieur. Mais la présence de ponts thermiques dans les bâtiments liés à une mauvaise isolation a des impacts connus et mesurés sur le confort et la sante des habitants par le biais de la qualité de l’air intérieur. Le premier aspect repose sur les différences de températures dans une pièce chauffée, par rapport à la température extérieure, qui entrainent un inconfort pour les usagers par le biais de “l’effet de paroi froide”. Ces ponts thermiques peuvent également avoir un effet sur la qualité de l’air intérieur. La vapeur d'eau présente dans l'air peut condenser lorsqu'elle entre en contact avec des points froids et favoriser ainsi le développement de moisissures. Ces dernières sont responsables d’allergies et de diverses pathologies respiratoires type rhinite, bronchite allergique, asthme... Selon l’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur (OQAI), 37 % des logements présentent des moisissures (Campagne OQAI Logements 2003-2005), tandis que le coût socio-économique des polluants de l’air intérieur serait proche de 19 milliards d’euros par an.
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ÉQUIPEMENTS TECHNIQUES : on change de logicielOutre la performance énergétique de l’enveloppe, le dimensionnement des systèmes de production vient compléter la performance énergétique totale du bâtiment. Or, la conception des bâtiments et des équipements de production repose principalement sur des calculs statiques de déperditions thermiques. Aujourd’hui, l’ingénieur concepteur applique la norme NF EN 12831 “systèmes de chauffage dans les bâtiments – Méthode de calcul des déperditions calorifiques de base”, qui définit le processus de calcul de la charge thermique nominale de chaque pièce afin de dimensionner les émetteurs de chaleur. Par habitude, le concepteur additionne les puissances de chaque zone pour dimensionner le générateur de chaleur. Pour plus de latitude et assurer les relances, le concepteur et/ou l’entreprise ajoute un coefficient de sécurité de l’ordre de 20 % sur la puissance du système retenu. Pour des bâtiments avec une enveloppe performante sur le plan thermique, on constate que les systèmes de chauffage ne fonctionnent presque jamais à puissance maximale. En effet, les conditions de calcul de la norme NF EN 12831 ne sont que très rarement reproduites dans la réalité : débit d’air neuf de ventilation maximal, absence d’apports internes, température extérieure extrême, pas d’irradiation solaire. Par conséquent, dans ces logements, les équipements de production fonctionnent majoritairement à charge partielle. Il convient de changer les pratiques de dimensionnement statique en favorisant la conception des lots techniques s’appuyant sur des calculs dynamiques validés par retours d’expérience. Le respect de la norme NF EN 12831 est indispensable pour le dimensionnement des émetteurs. Cependant, la somme des puissances statiques ne doit pas être le seul guide pour la conception de l’architecture de production. La dimension dynamique doit est prise en compte et valorisée.
Marc Wast
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