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[Un an de crise Covid] Comment le négoce a réussi à négocier le virage du “monde d’après”

Stéphane Vigliandi
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EN PHOTO • De gauche à droite : Franck Bernigaud (président de la FDMC, ex-FNBM), Alain Fragnaud (président de la FDME), Valérie Lachenal (présidente de la FFQ), Philippe de Béco (président de la Fnas) et Philippe Joubeaux (président de la FND). Quand cinq chefs de file du négoce Bâtiment livrent leurs impressions et leur analyse sur douze mois de crise sanitaire, mais regardent aussi droit devant… plus ou moins sereins. Plus ou moins inquiets ou circonspects.

[Zepros Négoce & Zepros Quo] Le 16 mars 2020, la France était mise sous cloche. Le président de la République annonçait que « la France est en guerre ! », contraignant 67,4 millions d’habitants au confinement et plusieurs pans de l’économie à l'arrêt. Douze mois pile, jour pour jour, la rédaction de Zepros Négoce a souhaité connaître leur(s) vision(s) de cette “longue” année passée, les leçons qu’ils en ont tirées et les perspectives d’activité dans le BTP au cours des prochains mois. Ils et… elle ? Ce sont les présidents des cinq fédérations du négoce Bâtiment. Morceaux choisis. (Propos recueillis par Stéphane Vigliandi)

Après la sidération des premiers jours, mi-mars 2020, le temps a très rapidement basculé du côté de l’action et de la réactivité chez les distributeurs BtoB. Des premières mesures mises sur pied, parfois – souvent ! – à brûle pourpoint, les enseignes intégrées et indépendantes ont pris la mesure des changements ou des évolutions à opérer dans leur gestion quotidienne de la relation avec leurs clients professionnels, mais également toute cette frange de particuliers à projet et de bricoleurs lourds ou “du dimanche” qui ont souhaité utiliser ces 55 jours confinés pour (re)penser l’aménagement de leur logement et son confort. Très vite, quatre mots sont revenus comme un refrain, une litanie dans le discours des états-majors de la distribution : la mobilisation générale des équipes, la résilience et l’agilité bien sûr, mais aussi la transformation des business-models.

Combien d’années la crise sanitaire a permis d’accélérer la digitalisation de la profession ? Un dossier déjà bien avancé, voire opérationnel dans certaines enseignes. Chez d’autres, cette funeste Covid-19 aura eu l’heur d’une impérieuse prise de conscience. Parfois mis en sommeil durant le confinement #1, les process 2.0 s’imposent désormais à toute une filière. De l’amont vers l’aval. Et lorsqu’au début du confinement #2, les souches mutantes font fi des frontières, ce sont les salons d’enseigne qui, eux-mêmes, ont muté pour devenir des… “digi-salons”. Ces trois mots – « résilience », « agilité » et « transformation » –, les équipes opérationnelles les auront également éprouvé à bras le corps sur le terrain. Toutes ces forces, Emmanuelle Wargon, alors encore secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition, avait d’ailleurs tenu à les saluer, à les remercie. À dire « Merci ! » aux femmes et aux hommes d’une profession « essentielle à la 2e ligne » dans le respect des gestes barrières : cette 2e ligne du Bâtiment et des Travaux publics composée d’abord des OIV (organismes d’importance vitale), des TPE-PME artisanales bien sûr pour reprendre très vite l’activité en diffus, mais aussi les entreprises générales, enfin les majors avec un décalage dans leur rythme de reprise.

Si, contrairement à la filière de la Restauration notamment, l’état d’urgence sanitaire – au moins reprolongé jusqu’au 1er juin 2021 – n’a pas fait plonger plus que de mesure le chiffre d’affaires du négoce Bâtiment, beaucoup d’acteurs de la distribution veulent croire que l’année 2021 sera marquée du sceau des (très) bons troisième et quatrième trimestres 2020 enregistrés durant cette première “année Covid”… Voire. Une chose est aujourd’hui certaine. Le négoce Bâtiment d’aujourd’hui n’est plus tout à fait le même que celui d'hier, mais pas non plus foncièrement différent. Il en a gardé la convivialité et la chaleur humaine qui lui collent si bien à la peau ! Avec déja cet avant-goût du désormais fameux... “monde d’après”. Stéphane Vigliandi

À la FDMC (matériaux de construction) • Franck Bernigaud, président

« L’état des lieux peut sembler un peu paradoxal. C’est une séquence où les acteurs de la filière Bâtiment sont passés, sans doute, par toutes les émotions. Chez beaucoup de négoces indépendants, l’exercice 2020 s’est néanmoins soldé par des progressions d’activité plus ou moins fortes (poursuite de l’activité artisanale en zones semi-rurales et rurales et impact de la fermeture des GSB durant le premier confinement, flux plus importants de clients BtoC en agences…). Ces mêmes indépendants ont aussi réussi à améliorer les structures de bilan : cela devenait de toute façon nécessaire ! Durant ces douze mois, la profession s’est remise en question au niveau de la maturité de sa digitalisation. Chez les indépendants qui pouvaient présenter des lacunes sur ce front-là, la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer les prises de conscience sur les moyens à mettre en œuvre pour mieux gérer et optimiser les flux et la relation clients. Bien qu’atypique, cette crise sanitaire a un impact sur notre écosystème certainement moins violent et brutal – pour le moment – comparée à la crise des subprimes. Là où le négoce généraliste et multispécialiste a clos l’année 2020 sur un recul de chiffre d’affaires de l’ordre de -2 %, la crise de 2007-2008 avait divisé par près de deux la rentabilité de notre profession avec une activité en berne (à environ -15 % en 2009). »

À la FDME (matériel électrique) • Alain Fragnaud, président

« Le premier confinement a brutalement freiné la croissance du chiffre d’affaires de nos entreprises adhérentes en raison de la fermeture totalement illogique des commerces de gros, contraints seulement de maintenir leurs activités en mode click & collect. De cette première épreuve, je souhaite relever l’extraordinaire capacité de nos entreprises adhérentes à s’adapter et repenser leur mode d’organisation dans un laps de temps extrêmement court. Preuve de leur agilité, résilience et solidité opérationnelle. Le second confinement de fin 2020 a notoirement été différent dans la mesure où le commerce de gros a pu rester ouvert ; matérialisant une nouvelle étape dans la reconnaissance, auprès des pouvoirs publics, de nos secteurs d’activité et de leur rôle essentiel dans la chaîne de valeur. Cette crise agit comme un révélateur de la nécessité d’intégrer toujours plus la digitalisation dans notre business. À cet égard, nos entreprises adhérentes et au-delà notre filière électrique, génie climatique, second-œuvre de l’Appro-Bâtiment est structurée entre fabricants et distributeurs grâce, notamment, au format Fab.Dis et au modèle Etim – gage d’une montée en puissance qualitative, fiabilisée et pertinente des contenus digitaux pour l’ensemble de la chaîne. »

À la Fnas (sanitaire, chauffage, plomberie, canalisations) • Philippe de Béco*, président

« Trois leçons en particulier émanent de cette crise. D’une part, la capacité de résilience de notre profession de l’Appro du second œuvre Bâtiment durant le premier confinement et l’obligation d’une réorganisation des modes de fonctionnement au quotidien dans un contexte dégradé. Secundo, l’élan de solidarité entre tous les maillons de la chaîne de valeur que l’on a pu constater sur le terrain, mais aussi aux sièges des enseignes, groupes et groupements pour éviter tout risque de défaillances – pour l’instant d’ailleurs, peu de cas sont encore à déplorer tant sur notre aval que chez les négociants. Tertio, bien sûr, l’évidente montée en puissance de la digitalisation de notre écosystème. Finalement, l’exercice 2020 s’est achevé sur une érosion d’activité nettement moins forte que nous pouvions le craindre ! Selon les enseignes et les régions, le chiffre d’affaires consolidé de la profession n’est en recul “que” de -2,6 % à -2,8 %. Ce qui est, il faut l’admettre, plutôt une bonne… performance ! Sous la houlette de la CGI [Confédération française du commerce de gros et international], les quatre organisations professionnelles qui représentent l’Appro Bâtiment du second œuvre (la FDME, la Fnas, la FND et la FFQ) a réussi à peser de tout son poids vis-à-vis des positions des assureurs-crédit qui, au début de la crise sanitaire, auront été pour le moins dures. »

* Avant de mettre un terme à son 3e mandat de deux ans à la tête de la Fnas, Philippe de Béco va finaliser la fusion avec la FDME

À la FND (décoration) • Philippe Joubeaux, président

« En 2020, le chiffre d’affaires consolidé de la profession a baissé de -3,3 % selon l’indice FND. Par univers, le paint a réussi à tirer son épingle du jeu car les ménages, entre autres, ont réalisé des travaux de finitions durant le premier confinement. Avec un corollaire : les ventes en outillage, consommables et produits de protection se sont dans l’ensemble bien comportées. Même constat sur l’activité des revêtements muraux malgré une baisse structurelle du marché des papiers peints depuis de nombreuses années en volume : auparavant une commande moyenne tournait autour de 7 rouleaux contre 3 ou 4 aujourd’hui. Mais ce segment est tiré par les offres premium. En revanche, le marché des revêtements de sol a souffert, beaucoup de gros chantiers ayant été à l’arrêt dès le début du printemps. Au-delà des chiffres, c’est la capacité du négoce de rebondir qui est à saluer malgré le contexte sanitaire – ou à cause de cette situation inédite. À de très rares exception, notre profession est entrée de plain-pied dans une logique phygitale, même si certaines enseignes avaient déjà lancé ce dossier depuis quelques années. »

À la FFQ (quofi) • Valérie Lachenal, présidente

« Selon notre enquête flash menée auprès de nos adhérents en janvier 2021, le chiffre d’affaires globale de la distribution a reculé de -6 %. En fournitures industrielles, par exemple, la chute est de -13 %. Avec, toutefois, un bien meilleur dernier trimestre. En outre, il existe des disparités entre grands groupes et ceux de moindre taille. Les petites structures s’en sont d’ailleurs mieux sorties dans l’ensemble. Quant aux Epéistes et aux spécialistes en quincaillerie, la vente des produits pour lutter contre la propagation de la Covid-19 a été un vecteur de soutien à l’activité des points de vente. Sur nos marchés du quofi, les négoces sont quasiment tous restés ouverts dès le début du premier confinement. Le mouvement d’industrialisation des formules de click & collect et de drives Express a soutenu le volant d’affaires. »

À la FDMC (matériaux de construction) • Franck Bernigaud, président

« Certes les indices et statistiques de l’ensemble de la construction neuve ne sont pas bons depuis plusieurs mois. Mais le plan France Relance a fait de la rénovation énergétique un levier essentiel de la reprise économique. La certification RGE chantier par chantier peut aussi avoir un effet levier assez puissant. Cependant, je reste circonspect sur les récents coups de rabot successifs à propos de certains dispositifs d’aide incitative comme sur les “Coup de pouce” et les certificats d’économie d’énergie. Jusqu’à présent, nous bénéficions depuis la fin du printemps 2020 des effets de rattrapage d’activité lié au premier confinement. À partir de la rentrée prochaine, il y a un manque patent de visibilité sur nos différents marchés déjà plus ou moins mis à mal par la hausse des tarifs industriels qui sévit depuis plusieurs mois sur de nombreux univers produits qu’adressent les négoces généralistes et multispécialistes. Un mouvement haussier et ses effets collatéraux : une politique des quotas qu’imposent certains fabricants. Ce à quoi s’ajoute le rallongement des délais de livraison. Ce qui peut aussi questionner, c’est le report à 2022 de certains salons professionnels* importants dans le calendrier 2021 de notre filière. D’ailleurs, pour l’exercice 2022, la profession n’a à ce jour pas de visibilité. »

* Par exemple, le Carrefour international du bois : l’édition 2020 avait été reportée à fin mai 2021, mais la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 1er juin prochain a contraint l’organisateur Atlanbois à reprogrammer l’événement du 1er au 3 juin 2022.

À la FDME (matériel électrique) • Alain Fragnaud, président

« Les perspectives de l’année 2021 sont totalement incertaines, même si l’espoir d’une amélioration sur le plan sanitaire (vaccins) redonne confiance aux acteurs et laisse entrevoir un redémarrage économique et financier. L’activité du début d’année reste soutenue, mais l’incertitude de voir le virus disparaître rapidement, la baisse drastique du BTP (en 2020, -14,7% pour les autorisations de chantiers et -6,9% pour les mises en chantier par rapport à 2019, selon le ministère de la Transition écologique) et le fort recul des commandes dans l’industrie, sont autant d’épouvantails qui pourraient hypothéquer la relance pérenne de notre secteur. À ce stade, les premiers mois de 2021 marquent un certain regain qu’il nous faudra consolider. Toutefois, cela est à nuancer, car les effets de la crise se ressentent non seulement sur la trésorerie de nos entreprises adhérentes qui reste fragilisée, mais aussi sur les marges dont la reconstitution demeurera davantage difficile. L’ensemble de ces paramètres astreignent donc nos adhérents à une grande prudence et une rigueur financière qui s’impose à eux. »

À la Fnas (sanitaire, chauffage, plomberie, canalisations) • Philippe de Béco, président

« Si nous sortons rassurés de l’année 2020 en dépit de l’impact évident de la crise de Covid-19, l’exercice 2021 risque d’être nettement plus complexe et difficile à aborder. On ne peut nier qu’il y a aujourd’hui des trésoreries qui sont ou deviennent tendues chez les distributeurs. Pis ! Il pourrait tout à fait y avoir un trou d’air dès cet été. Les indicateurs dans le neuf sont toujours mauvais ; tandis que l’activité auprès des clients industriels et dans le tertiaire demeurent poussifs. Seul segment, aujourd’hui, en lequel tout le monde place ses espoirs, c’est celui de la rénovation, et en particulier la rénovation énergétique. Les récentes annonces des différents coups de rabot sur certains mécanismes d’aide comme le “Coup de pouce Chauffage” ne sont pas des signaux franchement rassurants ! Il faut aussi, malheureusement compter avec les arbitrages budgétaires des ménages en faveur – on peut l’imaginer ! – des voyages entre autres… En outre, l’épargne des ménages a fortement bondi en 2020 [à près de 318Md€, soit… 100 Md€ de plus sur un an, selon l’Insee]. Sans compter que les récents indicateurs de l’Insee restent dans l’ensemble mal orientés [toutefois, ceux du Bâtiment, de la production industrielle au global et du commerce de gros dans son ensemble sont à la hausse]. Par ailleurs, l’inflation sur les coûts des matières premières et de certains produits finis pour le BTP (aciers entre autres) inquiètent les acteurs de la filière. Dans ce contexte, le négoce a tendance actuellement à rester très vigilante sur ses niveaux de stocks. »

À la FND (décoration) • Philippe Joubeaux, président

« Si le niveau des affaires reste bien orienté depuis juillet 2020 en raison de l’effet de rattrapage à la suite du premier confinement, des craintes, en tout cas des interrogations, sont perceptibles sur les perspectives à court terme. Nous sommes donc plus prudents sur la situation dans notre filière dès le courant de cet été. Nous sommes ainsi en contacts rapprochés avec les différentes fédérations de notre amont et l’aval. Du côté de la prescription, les architectes nous font des retours plutôt pessimistes. Ont-ils raison ? Pêchent-ils par excès de pessimisme ? Toujours est-il qu’en amont, leur volume de projets a déjà commencé à baisser… La hausse du prix des matières premières va-t-elle obérer une reprise franche que nous attendons tous avec impatience ? Pour l’instant [le 9 mars dernier], aucune annonce officielle n’a été faite par les fédérations de notre amont. La question peut se poser également à propos des délais d’acheminement pour livrer les entrepôts des grossistes. Pour l’instant, les stocks de sécurité d’une majorité de nos fournisseurs ne sont pas menacés. En principe, ce 18 mars, lors de la réunion du bureau restreint de la FND qui est en place depuis deux ans, et de notre conseil d’administration, ces sujets vont être abordés. En dépit de ce contexte économique délicat, la FND continue d’avancer sur d’autres dossiers, notamment sur les questions de développement durables et d’économie circulaire. En amont de l’entrée en vigueur de la REP Bâtiment [en janvier 2022], la FND accompagne l’éco-organisme ÉcoDDS dans le dispositif de collecte de déchets de peinture Rekupo. Sur environ 1 400 points de vente que représente notre fédération, entre 1 000 et 800 sites sont concernés. Jusqu’à la fin de cette année, notre planning de déploiement est de l’ordre d’une vingtaine d’agences par mois. Sur le front de la communication corporate de notre filière, une campagne BtoC sera engagée dès la mi-avril et pour une période de trois mois via l’affichage urbain, des annonces presse et sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’entretenir l’envie des particuliers d’améliorer leur intérieur et de promouvoir le négoce Finitions et les entreprises de peinture. »

À la FFQ (quofi) • Valérie Lachenal, présidente

« Pour le moment, la profession n’est pas confrontée à un choc systémique. L’activité du premier trimestre 2021 reste sur la même tendance qu’au dernier trimestre 2020. Parmi les explications de ce que l’on pourrait appeler un “état de grâce” comparé à d’autres secteurs (restauration, hôtellerie, voyages, culture, salles de sport…), notre branche a la chance de présenter une diversité de métiers et donc de marchés. Deux autres sujets pourraient être de nature à remettre en cause momentanément la reprise dans la filière : la flambée des tarifs industriels sur certains de nos assortiments ; certains membres distributeurs de la FFQ nous ont déjà fait état de petites alertes sur le plan des règlements clients. »

Stéphane Vigliandi
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