La cour des comptes épingle les CEE
Les certificats d’économie d’énergie seraient trop coûteux et trop complexes. Leur mécanisme serait à repenser entièrement, selon les sages de la rue Cambon.
La Cour des comptes vient de publier un rapport appelant à une réforme profonde, voire à la suppression, des certificats d’économie d’énergie (CEE), un dispositif majeur de la politique énergétique française. Les CEE, qui visent à soutenir les actions d’économies d’énergie en obligeant les fournisseurs d’énergie et de carburant à financer des travaux tels que l’isolation des bâtiments ou la récupération de chaleur industrielle, sont jugés de plus en plus complexes et peu efficaces. Ce dispositif, instauré par la loi de programme du 13 juillet 2005, fait aujourd’hui l’objet de critiques en raison de son coût et de l’incertitude quant aux économies d’énergie réellement réalisées.
Un dispositif central mais en difficulté
Les CEE sont les principaux leviers de la France pour atteindre ses objectifs de réduction de consommation d’énergie, en lien avec la politique européenne "Fit for 55" qui impose une réduction de 30 % de la consommation d’énergie finale d’ici 2030 par rapport à 2012. Depuis leur création, ils ont permis de financer plus d’un million d’opérations par an depuis 2021. Entre 2014 et 2020, les actions soutenues auraient contribué à réduire de 106 TWh la consommation d’énergie en France en 2020, soit environ 6,5 % de la consommation nationale.
Toutefois, l’évolution du dispositif, initialement conçu pour favoriser les économies d’énergie les plus rentables, a entraîné une multiplication des objectifs et des mécanismes. Des initiatives telles que le soutien aux ménages précaires, les programmes de formation, ou encore des bonifications temporaires ont complexifié l’architecture des CEE. Résultat : des règles différenciées selon les énergies, les fournisseurs et les types d’actions, rendant la gestion du dispositif particulièrement lourde et instable.
Un coût supporté par les ménages
Le coût des CEE est un autre point de critique majeur. Les fournisseurs d’énergie répercutent en effet les coûts nécessaires à l’obtention des certificats sur leurs prix de vente, faisant ainsi supporter aux ménages et aux entreprises le financement du dispositif. En 2023, ce coût s’élevait en moyenne à 164 € par ménage, soit environ 4 % de leurs factures d’énergie. Le coût global des CEE a quant à lui atteint environ 6 milliards d’euros par an pour les années 2022 et 2023, un montant en constante augmentation en raison de la hausse des obligations imposées aux entreprises assujetties.
Outre les aides financières, le dispositif génère des frais de gestion conséquents, représentant près de 30 % de son coût total. Ces dépenses incluent les frais de fonctionnement des intermédiaires et la TVA prélevée par l’État. Ainsi, les CEE ne se limitent pas à une simple incitation aux économies d’énergie, mais engendrent également d’importants transferts financiers entre les contributeurs et les bénéficiaires, parmi lesquels les secteurs de l’industrie, de la rénovation du parc résidentiel et les ménages modestes.
Des résultats surévalués et une fraude persistante
Selon la Cour des comptes, le volume de certificats délivrés est surestimé par rapport aux économies réelles d’énergie. Les calculs théoriques à la base des CEE ne sont pas toujours corroborés par des mesures précises des consommations d’énergie après travaux. Les économies réalisées en 2022 et 2023 seraient surestimées d’au moins 30 %. Cette surévaluation s’accompagne de l’absence de distinction claire entre les économies réellement induites par les CEE et celles financées par d’autres dispositifs publics, tels que MaPrime énov’ ou le Fonds Chaleur.
Le rapport souligne également la persistance de phénomènes de fraude, notamment dans le secteur du bâtiment. Ces fraudes, qui discréditent le dispositif, accentuent encore les doutes sur la réalité des économies d’énergie obtenues.
Vers une suppression ou une réforme ?
Face à ces dysfonctionnements, la Cour des comptes n’exclut pas la possibilité de supprimer purement et simplement le dispositif, comme cela a été fait au Danemark. Elle envisage aussi des alternatives, telles que la transformation des CEE en fonds budgétaires ou leur recentrage sur un seul public cible. Si le législateur optait pour le maintien des CEE, des réformes structurelles profondes seraient nécessaires pour garantir leur efficacité et leur simplicité.
Dans ce cadre, la Cour propose plusieurs recommandations. Parmi elles, l’amélioration des mécanismes de contrôle, la fin des pratiques de bonification et de financement de programmes annexes, ainsi qu’une participation accrue du Parlement dans la définition des paramètres du dispositif. Enfin, une automatisation des contrôles devrait être envisagée pour lutter plus efficacement contre la fraude.
La France doit impérativement ajuster ses outils pour parvenir à ses objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Que ce soit à travers une réforme du dispositif ou par sa suppression, les certificats d’économies d’énergie devront évoluer pour mieux répondre aux besoins d’efficacité énergétique du pays, tout en garantissant des résultats tangibles et une juste répartition des coûts, insistent les sages de la rue Cambon.