[Chantier] La terre crue reprend des couleurs (et de la hauteur)

Grégoire Noble
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Bauge, pisé, adobe, terre coulée... L’utilisation de la terre pour construire des maisons et des granges est traditionnelle sur tout le territoire français : Normandie, Bretagne et Vendée pour la bauge, Rhône-Alpes pour le pisé, région toulousaine pour les briques d’adobe. Des solutions qui connaissent aujourd’hui un renouveau avec la recherche de filières de construction locales et bas carbone. Car la terre crue est une ressource abondante qui ne nécessite aucune étape de cuisson et ne génère, en fin de vie, aucun déchet. C’est ce qui a conduit le promoteur Ogic à demander à l’agence Clément Vergély Architectes de concevoir un bâtiment de bureaux dans ce matériau pour l’îlot Ydeal Confluence de Lyon (ville qui fut la « capitale de la terre » en 2016). Une construction qui « ambitionne d’être un démonstrateur autour de l’usage des matériaux biosourcés », fait valoir le bureau d’études spécialisées Étamine. Le maître d’œuvre explique de son côté : « Dans la lignée des bâtiments industriels 1950 et 1960 de la confluence, l’immeuble de bureaux B05 innove en réinterprétant le thème de l’orangerie. Construit en ossature bois et en murs préfabriqués de terre, il présente des arcades largement vitrées dont la transparence et l’ouverture soulignent clairement sa vocation attractive et génératrice d’activités urbaines (...) la toiture végétalisée crée un véritable jardin suspendu ».

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Géosourcé, végétalisé, décarboné… la perfection

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Dans ce projet de 1 000 m2 en R+2, la terre crue représentera 40 % de la façade en surface, avec des épaisseurs de murs comprises entre 65 et 80 centimètres. Le reste des façades sera réalisé en murs à ossatures bois (25 %), menuiseries bois-aluminium (32 %) et pieds de piles en béton (3 %). La terre provient d’un chantier de terrassement situé en Isère, à 30 km de là, car celle de la parcelle était trop polluée pour être utilisée... Techniquement, les blocs de terre crue compacte sont produits directement sur le chantier, sans aucun additif de type liant. La terre est damée par couches successives puis le bloc est démoulé, levé à la grue et positionné sur le mur. Les dimensions maximales sont 2,20 mètres de longueur, sur 1 mètre de hauteur et 50 cm d’épaisseur. Le poids carbone du pisé se résume donc à la seule étape de transport des 350 tonnes de matériau. Selon les calculs du bureau d’études, 1 m2 de mur en pisé serait 10 fois moins émetteur de CO2 qu’un mur à ossature bois (qui présente toutefois l’avantage de stocker du carbone tout au long de sa vie) et même 20 fois moins émetteur qu’un mur de béton de 20 cm d’épaisseur. Et pas d’inquiétude à avoir sur la résistance : le pisé sec (huit fois plus solide que lorsqu’il est humide) montre une bonne résistance à la compression (30 à 40 tonnes/m2). D’où la possibilité de monter en étages, ici en R+2, voire plus.
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Rafraîchissement passif en été

Côté performances thermiques, le pisé offre d’autres avantages. Sans aucune isolation intérieure ni extérieure, il présente une résistance thermique R comprise entre 0,75 et 0,90 W/m².K. Étamine ajoute : « En moyenne, la résistance thermique des façades pleines du projet, en intégrant les parties en ossature bois, est de 2,1 W/m².K, ce qui correspondrait à une isolation standard homogène de 8 cm d’épaisseur environ ». Ce relatif manque d’isolation ne grèverait pas les performances générales du bâtiment – dont la surconsommation pour le chauffage ne serait que de +2 % sur un an – par rapport à un édifice présentant une résistance thermique bien supérieure, égale à 5. La condensation entraîne un réchauffement du matériau qui maintien la température intérieure plus longtemps. À la belle saison, le pisé amène un gain de confort d’été dans un bâtiment ne disposant pas de système de rafraîchissement actif. Associé à de la ventilation passive nocturne et au brassage d’air diurne, la terre crue décale l’entrée de la chaleur dans le bâtiment. Même sec, le matériau contient au moins 1 % d’eau (7 à 8 % lorsqu’il est humide). Cette humidité s’évapore avec la chaleur et ce phénomène « endothermique » absorbe une partie des calories ambiantes. En cas de canicule, une PAC réversible, intégrée aux centrales de traitement d’air double flux adiabatiques, soufflera de l’air frais.

Seule contrainte pour la mise en œuvre du pisé : le respect d’un calendrier de construction restreint à la période comprise entre les mois d’avril et d’octobre, afin d’éviter les épisodes de gel qui feraient gonfler l’eau comprise dans les blocs et déstabiliseraient la paroi. Mais face à tous les arguments en faveur du retour à la terre, rien d’étonnant à ce que l’on compte déjà 2 000 logements en pisé dans la région lyonnaise. Et ce mouvement ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin.

Grégoire Noble
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