Nouvelles technologies : Électriciens, il faut rester branché !
En quelques années, le métier d’électricien a vu l’arrivée de nouveaux marchés comme le photovoltaïque, les bornes de recharge pour véhicules, le stockage et surtout la domotique. Les acteurs du secteur proposent des solutions afin d’accompagner les installateurs dont beaucoup peinent encore à franchir le pas de la spécialisation.
Le changement, c’est maintenant…enfin, presque. Le métier d’électricien vit une révolution avec la nécessité de concevoir des installations toujours plus “smart”, qui intègrent la production photovoltaïque, les PAC, et qui prennent en compte les informations précises, récoltées notamment par les compteurs Linky. Sur le papier, difficile pour les électriciens de combiner toutes ces spécialités. Si le marché du photovoltaïque s’est structuré ces dernières années, ce n’est pas tout à fait le cas du smart home. "À partir du moment où l’on parle de bâtiments connectés, il y a une notion d’informatique. C’est un autre domaine de compétence que l’électricité. Par conséquent, dans sa formation initiale, il y a peu de chance que l’électricien soit initié à ces notions d’informatique. Les professionnels ont donc logiquement une appréhension par rapport aux solutions connectées", analyse Emmanuel François, co-fondateur et président de la Smart Building Alliance . Schématiquement, il existe aujourd’hui deux types d’installations connectées. Le premier est la mise en place de solution domotique comme le pilotage de l’éclairage ou du chauffage. Dans ce cas-là, l’électricien peut se sentir à l’aise dans son travail car il s’agit d’un prolongement de son activité. Par exemple, s’il installe des volets roulants, il peut naturellement proposer à son client final de lui configurer un système de pilotage via un smartphone.
Le deuxième type de chantier concerne une installation plus globale, c’est-à-dire qui englobe l’ensemble des équipements de la maison ou du bâtiment. "Un électricien n’a pas forcément les compétences pour mettre en place le pilotage d’une chaudière. Il doit donc se former à la maîtrise de ces nouvelles technologies", ajoute Emmanuel François. Si une partie des professionnels a joué un rôle de précurseur et a choisi de se spécialiser, ce n’est pas le cas de la majorité. "Notre objectif est que le terme électricien n’existe plus dans 10ans. Pour évoluer vers un métier 2.0, les installateurs doivent garder leur compétence électro-technique de base mais en ajoutant une expertise et un service supplémentaire. La maîtrise de la connectivité va devenir indispensable avec le bâtiment et le logement connectés ainsi qu’avec le véhicule électrique », commente Dominique Faure, responsable clientèle Entreprises d’électricité&Installateurs régionaux chez Schneider Electric.
Savoir vendre sera la clé
Aujourd’hui, que ce soit chez les fabricants, les organismes professionnels ou les distributeurs, les formations ne manquent pas. "Ces trois dernières années, l’objectif était de développer des formations IRVE autour des bornes de recharge des véhicules électriques. Nous avons formé 350 entreprises en 2020 et visons les 700 en 2021. Sur le photovoltaïque, nous avons de plus en plus de demande,mais la tendance est moins forte. Cependant, les dernières réglementations devraient pousser les professionnels à s’yintéresser. En domotique, la demande était balbutiante jusqu’à maintenant. L’électricien avait du mal à voir son intérêt à se renforcer sur ce domaine", détaille Hervé Jacques, directeur du développement formations chez Formapelec . Mais face à ces évolutions, les connaissances techniques ne sont plus suffisantes : il faut aussi savoir vendre. De plus en plus d’acteurs du secteur accompagnent d’ailleurs les électriciens dansleur démarche marketing avec des équipes dédiées (voir module page 26). "Les électriciens doivent être capables d’argumenter et de contre-argumenter lorsqu’ils s’adressent à leurs clients finaux car il y a beaucoup de réticences notamment vis-à-vis de la gestion des données. Il faut créer une notion de confiance entre les particuliers et les professionnels. La nouvelle génération d’électriciens est davantage à l’aise avec ces questions", enchérit François-Xavier Jeuland, vice-président du pilier SmartHome de la SBA
3 QUESTIONS À…Emmanuel Gravier, président de la FFIE (Fédération Française des Intégrateurs Électriciens)
"Nous espérons que les aides vont inciter les entreprises"
Zepros : Le métier d’électricien a-t-il changé ?
Emmanuel Gravier : Oui, Il a même grandement évolué au cours des dernières années. Il y a tout d’abord eu une bascule entre courant fort et courant faible. Lors de ma prise de fonction en 2015, le courant faible représentait 35 % de l’activité du secteur électrique, aujourd’hui il se situe autour des 50 %. Dans les cinq prochaines années, la partie courant faible, c’est-à-dire l’intelligence artificielle, le cloud ou encore la gestion des données, représentera plus de 60 % de l’activité. Un électricien doit avoir des compétences dans de nombreux domaines : les bornes de recharge pour les véhicules électriques, la gestion de l’énergie avec notamment le stockage et l’autoconsommation, et le smart home. L’installateur est devenu un ensemblier de systèmes intelligents, il doit être un intégrateur de solutions innovantes.
Zepros : Les électriciens sont-ils suffisamment formés ?
E. G. : Globalement, un tiers des électriciens intégrateurs veulent se former ou le sont déjà et un tiers s’interrogent et doivent être accompagnés dans cette réflexion. La dernière partie ne s’y intéresse tout simplement pas. Les électriciens ne sont pas encore totalement convaincus par ces évolutions technologiques car la demande du marché n’est pas encore suffisamment forte. Il manque encore des chantiers pour élever les compétences. Cela va devenir une tendance générale, c’est inévitable. Le rôle de notre fédération est d’embarquer l’ensemble des acteurs de la filière. Malheureusement, entre le manque de temps pour se former, le marché qui peine à se lancer et le manque d’intérêt de certains, il y a encore beaucoup de travail même si nous sommes très confiants pour l’avenir. Nous allons en profiter pour augmenter notre positionnement stratégique dans la filière car l’installateur intégrateur n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur. En effet, tout n’est pas fait de la part des grands acteurs de la filière électrique pour que le professionnel soit un élément clé de la mise en place de ces nouveaux marchés. La proximité avec les clients finaux est essentielle pour que les nouvelles technologies se développent et ce sont les artisans qui sont implantés au plus près d’eux.
Zepros : Quelles valeurs ajoutées peuvent apporter les professionnels ?
E. G. : Tout d’abord, les électriciens doivent non seulement se former au niveau technique mais aussi au niveau marketing. Nous les motivons à être proactif, à aller au-devant des besoins et des demandes du client plutôt que d’attendre qu’il les exprime. Il faut proposer l’innovation, convaincre de la valeur ajoutée du nouvel équipement qu’il installera. Les chefs d’entreprise doivent bien distinguer leurs marchés, leurs cibles et les problématiques auxquelles ils sont confrontés. La seconde valeur ajoutée se situe après le chantier, au niveau de la maintenance de l’installation. Il doit avoir une compétence de gestionnaire et apporter une analyse de la consommation des usagers.
Enfin, d’autres marchés sont en train de se développer : le photovoltaïque, l’IRVE (infrastructure de recharge de véhicules électriques), l’arrivée de la 5G ou encore la technologie PoE (Power over Ethernet). L’électricien va pouvoir ajouter de nombreuses compétences à son catalogue de services. Nous ne sommes pas en retard ; par exemple, sur des domaines comme le photovoltaïque, les professionnels sont déjà très bien formés. Mais il y a encore du travail.
Les chiffres clés
50 %. Le pourcentage que représente le courant faible dans l’activité des électriciens en France, contre environ 35 % il y a 5 ans. (Source : FFIE)
220 000. En France, la filière électrique employait près de 600 000 personnes à fin 2018. Le Bâtiment compterait 220 000 emplois (70 % dans la rénovation du bâtiment résidentiel, tertiaire et industriel, 20 % dans le bâtiment neuf et 2 % dans les data centers), dont 100 000 liés à l’installation directe de systèmes électriques. (Source : L’Edec de la filière électrique “Engagement de développement de l'emploi et des compétences” - octobre 2020)
60 000. C’était le nombre d’électriciens intégrateurs en France à fin 2018, avec entre 5 % et 10 % de croissance envisagés à l’horizon 2030. (Source : Edec de la filière électrique)
200 000. Le nombre d’emplois supplémentaires qui devraient être créés en France dans la filière électrique d’ici à 2030, dont 80 000 pourraient être créés dans la rénovation énergétique. (Source : Edec de la filière électrique)
Et si les électriciens s’inspiraient de Netflix ?
Non, les professionnels ne vont pas concurrencer le géant du streaming mais ils pourraient s’en inspirer en proposant aux clients finaux des abonnements pour s’assurer de l’entretien des équipements connectés. "Dans le mode de fonctionnement actuel, les professionnels facturent une prestation comprenant la main-d’œuvre, leur expertise métier et le coût du matériel. À l’avenir, ils devront proposer un service continu sous forme d’abonnement ou de contrat de maintenance régulière. Nous n’arriverons pas à déployer le smart home en France si nous n’acceptons pas cette démarche de services. Outre l’intérêt pour le client final d’avoir des équipements opérationnels à 100 %, il y a un aspect financier supplémentaire pour l’électricien", explique Emmanuel François. "Les professionnels peuvent par exemple proposer à leurs clients un suivi régulier sous forme d’abonnement, qui peut comprendre l’ajout d’objets connectés, la mise à jour des équipements ou une analyse de la consommation énergétique", ajoute Hervé Jacques, directeur du développement formations chez Formapelec.
Des showrooms dédiés à la domotique
A l’image du secteur de la salle de bains où les clients finaux ont besoin de se projeter avant de concrétiser leurs projets, les fabricants et les distributeurs du secteur électrique ont développé des showrooms pour aider les professionnels à mieux vendre ces solutions domotiques. C’est le cas de Sonepar avec son showroom baptisé Luminter. "Nous mettons à leur disposition des showrooms présentant des produits de différentes marques en situation. Les professionnels peuvent ainsi voir ces produits et la façon dont ils s’installent. L’électricien peut également y emmener ses clients. Nous avons des experts dédiés sur place pour les aider et guider les clients finaux dans leur projet électrique. Cela permet de compenser le manque de formation commerciale des électriciens", commente Manuel Moriceau, responsable produits Secom chez Sonepar France. Le négociant insiste d’ailleurs sur sa volonté de ne mettre aucune marque en avant. "Les équipes sont formées régulièrement par les fabricants sur les innovations produits, mais nous estimons que les formations sans étiquette de marque sont plus efficaces", ajoute-t-il.
Les industriels ne sont pas en reste, à l’image de Delta Dore qui compte déjà quatre showrooms en France (à Bordeaux, Pau, Cambrai et Arras).
L’ombre de la GSB et des nouveaux entrants
Comme pour tout marché fleurissant, de nombreux acteurs souhaitent avoir une part du gâteau. " Si l’électricien ne propose qu’une solution verticale et n’apporte pas une plus-value avec du service et un suivi, il risque de se faire concurrencer par d’autres acteurs", s’inquiète Emmanuel François. "D’autres acteurs sont déjà sur le marché notamment au niveau des alarmes et de la vidéosurveillance", renchérit de son côté François-Xavier Jeuland.
Le marché étant encore à ses débuts, il n’y a pas encore de raison de déclencher l’alarme, comme l’explique Emmanuel Gravier, le président de la FFIE : « Les nouveaux entrants nous poussent à évoluer. Néanmoins, il va certainement leur manquer la compétence électrique. Ils sont davantage présents sur la partie informatique et sous-traitent auprès des électriciens ».
Mais le principal concurrent des électriciens dans les années à venir ne pourrait-il pas être le client final lui-même. "Le marché commence déjà à échapper aux électriciens à certains niveaux. Par exemple, aujourd’hui, 80 % des plaques de couleurs pour les prises sont vendues en GSB. Ce problème risque de se répéter pour la domotique", détaille Manuel Moriceau, responsable produits Secom chez Sonepar France. En effet, les GSB et certains fabricants proposent de plus en plus des équipements préconfigurés et se connectant automatiquement. Les clients n’ont ainsi plus besoin de faire intervenir un professionnel. "Voilà l’intérêt de la formation aux nouvelles technologies et au marketing. Proposer un éclairage intelligent, créer des scénarios selon le rythme de vie des clients est plus valorisant que la vente d’une simple box", conclut Dominique Faure, responsable clientèle Entreprises d’électricité & Installateurs régionaux chez Schneider Electric.