Quel avenir énergétique pour la France

Quentin Nataf
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Depuis la COP21 de Paris en 2015, la chasse au CO2 s’est transformée en guerre. L’objectif visé par la France est la neutralité carbone en 2050 avec une étape “optimisation” en 2030. Les enjeux sont donc énormes et auront des conséquences notables sur nos mode de vie et votre façon de travailler. Dans son rapport les “Futurs énergétiques 2050”, RTE dresse plusieurs scénarios. Eclairage pour vous y préparer.

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Les COP s’enchaînent et pourtant le constat concernant les émissions mondiales de CO2 reste préoccupant. À part une baisse logique en 2020 due à l’arrêt du commerce international au plus fort de la pandémie du Covid-19, estimée à 5 %, le CO2 continue de prospérer dans notre atmosphère au gré du développement économique qui s’accélère encore depuis près d’un an.

Et quand on évoque ce sujet, force est de constater que l’on pourrait considérer comme vains ou négligeables les efforts à entreprendre dans notre pays pour respecter les engagements climatiques compte tenu de la part de la France dans les émissions mondiales, estimée à environ 1 % ! Pourtant, nos émissions par habitant demeurent au-dessus de la moyenne mondiale et ce constat est encore plus criant une fois pris en compte l’impact carbone des énergies importées.

Il n’empêche. Au regard de l’urgence climatique mise en avant dans le dernier rapport du Giec publié en août dernier, la sortie des énergies fossiles est désormais incontournable à horizon 2050, avec un coup d’accélérateur obligatoire d’ici à 2030. Dans son rapport les “Futurs énergétiques 2050”, RTE évoque différents scénarios pour y parvenir. Elles présentent des points communs (baisse de la consommation d’énergie, augmentation de la part de l’électricité, recours aux énergies renouvelables) mais également des différences importantes en ce qui concerne le rythme d’évolution de la consommation et sa répartition par usage, le développement de l’industrie, l’avenir du nucléaire, le rôle de l’hydrogène, etc.

Car, malgré les chocs pétroliers successifs, la France reste alimentée avec une énergie bon marché, encore abondante et facilement stockable. Les combustibles fossiles satisfont aujourd’hui une consommation finale de plus de 930 TWh par an, contre 430 TWh pour l’électricité. Et si le nucléaire représente bien 70 % de l’électricité produite en France, c’est moins de 20 % de l’énergie finale utilisée par les Français. La prépondérance de l’atome dans la production d’électricité ne doit pas occulter la dépendance de la France aux énergies fossiles et importées pour ses besoins en énergie. Dès lors, l’atteinte de la neutralité carbone oblige à renoncer en quasi-totalité à ces énergies fossiles. Cet enjeu s’est d’ores et déjà invité dans la campagne électorale de 2022.

Prioriser l’efficacité énergétique
La stratégie française pour atteindre la neutralité carbone est fixée par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), réévaluée tous les cinq ans. Elle repose en premier lieu sur l’efficacité énergétique : elle prévoit que la consommation d’énergie finale de la France diminuera de 40 % en trente ans (voir illustration ci-contre). Il s’agit d’une ambition très forte, dans le haut de la fourchette des stratégies des pays limitrophes, qui conduirait la France à retrouver son niveau de consommation d’énergie de la fin des années 1960.

Difficile à concevoir aujourd’hui en sachant que la consommation électrique va exploser avec le développement de la mobilité “zéro émission”, du chauffage thermodynamique et de la réindustrialisation du pays qui devrait favoriser le recours à des machines fonctionnant essentiellement à l’électricité. La clé pour approcher cet objectif sera la sobriété énergétique qui passera, entre autres facteurs, pour l’activité du Bâtiment, par une construction neuve répondant à une réglementation exigeante et par une massification croissante de la rénovation énergétique du parc existant.

« Le premier rendez-vous à ne pas rater est l’étape intermédiaire de 2030, date à laquelle, comme le prévoit la loi, 40 % de notre production électrique devra provenir d’énergies renouvelables. Débattre d’objectifs à 2050 est vain si nous ne sommes pas capables d’atteindre ceux fixés pour 2030 » Jean-Louis Bal, président du SER.

Chiffres clés :

500 TWhLe potentiel actuel de production d’électricité décarbonnée, à rapporter aux 645 TWh de consommation estimée en 2050 (trajectoire de référence).

900 MtC’est la quantité de CO2 évitée en cas de réindustrialisation profonde du pays en 30 ans, du fait de la réduction importante des importations (fort déficit de notre balance commerciale actuellement).

14 000 à 35 000 éoliennes et jusqu’à 0,3 % du territoire couvert de panneaux photovoltaïques seront nécessaires, selon les différents scénarios évoqués par RTE.

20 à 30 000 ha de surface artificialisée sont dédiés aux systèmes électriques, contre plus d’un million d’hectares pour le réseau routier.

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Changer de modèle

Dès la fin des années 1970 et devant la surproduction d’électricité induite par le surdimensionnement du parc électronucléaire, l’État français décide de promouvoir massivement l’utilisation du chauffage électrique. Réglementations relatives au bâtiment, leviers fiscaux : tout est fait pour que les Français s’équipent. Une campagne couronnée de succès : avec aujourd’hui plus d’un tiers des ménages se chauffant de cette manière, la technologie est en tête de tous les modes de chauffage. Les conséquences trop méconnues sont pourtant importantes. D’abord, le chauffage électrique à effet joule est aujourd’hui le système de chauffage le plus cher pour les ménages et le plus susceptible d’induire soit des phénomènes de privation soit de l’inconfort, renforçant ainsi la précarité énergétique.
Ensuite, par son utilisation généralisée, le chauffage électrique engendre un surdimensionnement majeur du réseau de distribution d’électricité dont les coûts sont supportés par l’ensemble des consommateurs, quel que soit leur équipement.
Enfin, côté production, les centrales à énergie fossile doivent tourner pour répondre aux besoins créés par le chauffage électrique en période de pointe ce qui génère des émissions accrues de CO2.

Les énergies fossiles encore très présentes

Aujourd’hui, l’électricité est omniprésente dans notre vie mais elle n’est pas dominante dans le mix énergétique français. Son utilisation est marginale dans le secteur des transports (2 %, contre 91 % pour les énergies fossiles), minoritaire pour le chauffage des bâtiments (16 %, contre 56 % pour les fossiles, avec plus de 15 millions de générateurs – 80 % gaz et 20 % fioul), et plus proche de la parité dans l’industrie (36 %, contre 51 % pour les énergies fossiles) qui utilise toujours largement des hydrocarbures comme le pétrole, le gaz et le charbon, mais également de “l’hydrogène gris” extrait du gaz.

Le gaz en mode verdissement
L’Association française du gaz rappelle le potentiel important des gaz renouvelables et bas carbone que sont le biométhane, l’hydrogène et les combustibles de synthèse. Ces énergies, qui se développent dans nos territoires, sont aujourd’hui prêtes à accélérer. En 2050, les gaz renouvelables et bas carbone ont vocation à se substituer au gaz naturel importé. Ils seront complémentaires des solutions électriques pour décarboner nos usages (bâtiment, mobilité, industrie), au-delà de la contribution à la stabilité du système électrique qu’ils apporteront.

Soucieuse de contribuer utilement au débat public, l’AFG publiera prochainement un scénario prospectif multi-énergies qui s’attachera à concilier transition énergétique, préservation du pouvoir d’achat des Français, compétitivité de l’industrie et renforcement de notre sécurité d’approvisionnement énergétique. Cette étude aura vocation à alimenter la future stratégie française énergie-climat dont les travaux préparatoires viennent de démarrer.

Pour Jean-Marc Leroy, président de l’AFG, « l’industrie gazière française appelle à construire avec pragmatisme un scénario énergétique holistique. La crise que nous vivons doit être entendue comme un appel à réduire notre vulnérabilité et à construire un système énergétique plus robuste, capable de relever le défi climatique à des coûts maîtrisés ».

L’éolien veut compter dans l’équation
Si la filière éolienne se félicite de la confirmation, une nouvelle fois, du rôle indispensable que l’éolien doit jouer dans cette feuille de route, France Énergie Éolienne tient à souligner que planification, raccourcissement des temps de développement et libération d’espaces seront les conditions sine qua non à la réussite. D’ici à 2050, les besoins en installations éoliennes concordent parfaitement avec les efforts déjà entrepris par la filière. Cette planification soutenue est d’autant plus essentielle qu’elle devra notamment s’appuyer sur l’éolien en mer, qui n’en est qu’à son démarrage en France et dont les objectifs en capacité cumulée se situent entre 2 et 3 GW par an.

Le SER dans les starting-blocks
Parce qu’elles permettent de produire à un prix connu à l’avance, les énergies renouvelables protégeront également nos entreprises et notre tissu industriel contre la volatilité des prix des énergies fossiles. Les scénarios de RTE montrent d’ailleurs qu’une plus forte industrialisation de notre pays impliquera nécessairement d’utiliser une part encore plus importante d’énergies renouvelables.

Jean-Louis Bal, président du SER explique : “Le travail réalisé par RTE montre de façon incontestable que nous sommes face à une urgence absolue si nous voulons atteindre la neutralité carbone en 2050. Notre filière industrielle est d’ores et déjà mobilisée pour y répondre, et appelle désormais le président de la République à tout mettre en œuvre pour engager dès à présent une accélération majeure du développement des énergies renouvelables, électriques et thermiques, afin de placer notre pays sur la bonne trajectoire ».

La Fondation Nicolas Hulot s’inquiète
« Ce rapport très attendu de RTE montre que nous avons le choix de notre avenir énergétique, et c’est une bonne nouvelle. Mais la FNH pointe un important problème de communication. Nous n’avons pas aujourd’hui toutes les données en main pour prendre les bonnes décisions : l’évaluation économique des scénarios de sobriété n'a pas encore été faite. Or la sobriété énergétique n’est pas une variable d’ajustement, elle est au contraire centrale pour décider de notre avenir. Cette analyse partielle ne peut que conduire à des décisions hâtives. Il est essentiel d’avoir une vue globale des travaux sur les scénarios énergétiques pour organiser un réel débat démocratique, donc après l’élection présidentielle », commente Célia Gautier, responsable Climat & énergie de la FNH.

Équilibres des énergies, flexible
L’association, présidée par Brice Lalonde, « estime nécessaire d’augmenter rapidement le potentiel de flexibilités qui sera indispensable à la gestion du réseau électrique. Des possibilités existent dans les domaines du stockage de l’énergie et du pilotage de la recharge des véhicules électriques et des installations de chauffage. Elles doivent être mises en œuvre dès à présent ».

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Entre vertu et sacrifice

Dans son rapport, quelques exemples de sobriété sont mis en avant par RTE, via son groupe de travail dédié. Dans le secteur résidentiel, au-delà de logements thermiquement performants prévus par la RE 2020, il s’agit à la fois “d’une mutualisation et d’un partage des espaces et des équipements, permettant de réduire le besoin en logements neufs, et d’autre part, d’actions de moindre consommation volontaire pour les usages du chauffage et de l’eau chaude sanitaire”. Dans le secteur du tertiaire, différentes options peuvent être envisagées comme le télétravail, l’autolimitation des besoins énergétiques au bureau, la réduction de la taille des commerces et la limitation des écrans publicitaires dans l’espace public. Pour les transports, deux axes sont à développer : le fait de se déplacer moins et de se déplacer différemment, avec de façon plus générale une mobilité partagée. En ce qui concerne le secteur industriel, “les effets de la sobriété chez les consommateurs vont influencer directement la production”, alliés à l’allongement de la durée de vie des équipements, un moindre besoin de mobilité et le réemploi et recyclage.

Contrairement à des efforts technologiques qui laissent une marge d’incertitude, la sobriété est un investissement forcément rentable sur le long terme. Elle est aujourd’hui trop peu mentionnée dans les débats publics, mais se lit en creux dans les actions possibles face au changement climatique. Par exemple, le sondage de l’IFOP mené avec le Syndicat des Énergies Renouvelables en octobre dernier montre que les mesures de type “faire plus d’économie d’énergie” ou “modifier nos modes de consommation” remporte une adhésion de plus de trois-quarts des citoyens avec 93 % jugeant utile la première et 86 % la seconde. Ces changements sociétaux sont donc déjà envisagés par les citoyens. Seront-ils confirmés quand nous devrons passer de la théorie à la pratique ? Rien n’est moins sûr…

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Hausse des températures : quelles conséquences

Selon le rapport Drias 2020 de Météo-France, la hausse moyenne des températures en France pourrait atteindre entre 0,8°C et 2,9°C sur la période 2041-2070, par rapport à 1976-2005. L’intensité et la fréquence des vagues de froid vont diminuer (sans pour autant faire disparaItre le risque) tandis que celles des canicules se renforceront : en 2050, un été sur trois pourrait être marqué par une canicule comparable à celle de 2003. Ces effets sur la température se traduisent par une hausse de la consommation d’électricité pour la climatisation, largement compensée, sur l’année, par la baisse de consommation sur le chauffage.

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Combien ça va coûter ?

Tous les scénarios évoqués nécessitent un investissement très soutenu : sur 40 ans, il faudra investir entre 750 et 1 000 milliards d’euros selon l’option choisie, pour alimenter le pays en électricité, soit 20 à 25 Md€/an. Cela revient à doubler le rythme annuel d’investissement par rapport à aujourd’hui. Toutes les composantes du système sont concernées : production d’électricité, moyens de flexibilité (électrolyseurs, réseaux et stocks d’hydrogène, centrales thermiques, batteries, dispositif de pilotage de la demande), réseaux de transport et de distribution. Cet investissement est important mais conduit en retour à créer un système dont le coût de fonctionnement opérationnel est très faible, et qui ne dépend plus du cours des énergies fossiles.

Quentin Nataf
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