Bien vieillir chez soi, nouvel enjeu du BTP

Jérémy Becam
Image
Kinedo

Entre les scandales entourant certains Ehpad, le vieillissement de la population et un nouveau dispositif d’aides, l’adaptation des logements occupe l’actualité. Un sujet qui ne rajeunit pas non plus mais qui s’accroche dans le paysage, malgré quelques embûches.

Partager sur

La décennie 2020-2030 sera celle de “l’explosion” des 75-84 ans. Au nombre de 4,1 millions en 2020, ils seront 6,1 millions en 2030 (+49 % en dix ans). Et les “85 ans et plus” augmenteront de +88 % entre 2030 et 2050 d’après les chiffres du rapport « Nous vieillirons ensemble » remis le 26 mai dernier par Luc Broussy, président la filière Silver Economie. Ce rapport formule 80 propositions pour adapter le transport, l’urbanisation dans les territoires mais surtout le logement. Pourtant, ce sujet du vieillissement et plus généralement du “papyboom” ainsi que l’enjeu de l’adaptation des logements naviguent dans le paysage français depuis de nombreuses années. « Le monde du Bâtiment s’est longtemps intéressé uniquement aux problèmes liés au handicap avec des normes définies principalement pour la circulation d’un fauteuil roulant. Dans ce cas précis, il est facile de définir des normes, des mesures et des équipements adéquats notamment dans les logements neufs avec la loi Elan ou encore l’arrêté Zéro Ressaut. L’adaptation du logement pour une personne âgée n’est pourtant pas identique à celle pour une personne handicapée. Nous comptons environ 600 000 personnes âgés en fauteuil roulant en France contre près de 8 millions de personnes plus de 70 ans dans les années à venir », souligne Jean Philippe Arnoux, directeur Silver Economie et Accessibilité chez Saint-Gobain Distribution Bâtiment France. Le marché de l’adaptation du logement est pourtant difficile à chiffrer : la loi Elan n’encadre que la construction neuve (entre 300 000 et 400 000 logements) contre un parc de logements anciens (avant 1975) d’environ 26 millions de bâtisses selon les chiffres du représentant de Saint-Gobain.

Des démarches trop complexes

Après la transition écologique et environnement, la transition démographique semble être un enjeu majeur pour le secteur du BTP. Pourtant du retard a été pris ces dernières années. « Il faut mettre en place une politique de prévention pour prévenir le “vieillir chez soi”. Le budget alloué à l’adaptation du logement aux seniors s’élève à 154 millions d’euros en France contre 550 millions en Angleterre par exemple », pointe du doigt Jean Philippe Arnoux. Dans le même temps, le marché est fortement ralenti par les délais autour de la création des dossiers malgré la forte demande de la part des clients finaux. Plus de 85 % des Français souhaitent vieillir à domicile selon une étude publiée par l’Ifop en 2019. Une aubaine pour les entreprises du Bâtiment ? « Même pour une entreprise subventionnée, c’est un parcours semé d’embuches avec des délais de paiement intenable pour une petite entreprise. Au total, nous comptons moins de 3 000 entreprises formées en France », ajoute Jean-Philippe Arnoux. Néanmoins, le secteur n’est pas resté inactif ces dernières années. A l’automne 2019, Action Logement a mis à dispositif pour les personnes âgées aux ressources modestes avec une aide de 5 000 € pour adapter leurs sanitaires au vieillissement avec le remplacement des baignoires par des douches. Un dispositif qui a connu un véritable succès et plusieurs freins avaient été alors levés en faveur des entreprises du BTP : acompte de 30 % du montant des travaux et non-obligation d’un accompagnateur travaux pour certains dossiers. Le budget global de cette initiative a été revu à la baisse par l’Etat l’année dernière et cette aide a été arrêtée en avril dernier.  « Ce dispositif a permis deux choses : la moyenne d’âge des demandeurs de travaux a été rajeunie tandis que les entreprises du Bâtiment ont compris l’intérêt de se former et de s’intéresser à ce marché », se réjouit tout de même Jean-Philippe Arnoux.

 

Image
Kinedo

Plusieurs fabricants du secteur, tel que Kinedo avec sa solution Kinemagic Access, ont compris l’enjeu de l’adaptation du logement avec notamment des solutions économiques et facilitées pour remplacer une baignoire par une douche.

MaPrimeAdapt’ pour lancer le marché ?

Autre problème souligné par les professionnels, les aides de l’Anah pour la réalisation des travaux sont soumis à une perte d’autonomie. Il est calculé à partir de l’évaluation effectuée à l’aide de la grille AGGIR. Il existe six GIR : le GIR 1 est le niveau de perte d’autonomie le plus fort et le GIR 6 le plus faible. A partir de GIR 4, vous êtes éligibles aux aides car vous avez besoin d’une assistance à domicile. Il existe également les aides des caisses de retraites (Carsat) qui viennent en complément de celles de l’Anah. Enfin, un crédit d’impôt de 25 % sur les travaux et les produits sans condition de ressource mais réservée aux personnes en perte d’autonomie. « Les chutes de personnes âgées représentent 500 000 hospitalisation par an, 12 000 morts et un coût de 2 milliards d’euros par an pour la Sécurité sociale. Il faudrait peut-être investir pour réduire cette facture humaine et économique. Il faut une communication massive autour de cette notion de “vieillir chez soi”. Les Français doivent se rendre compte que c’est possible mais que cela a un coût et qu’il faut l’anticiper », conclut Jean-Philippe Arnoux. Dans son rapport, Luc Broussy suggérait la création d’un fond MaPrimeAdapt’ avec un guichet et un dossier unique, et des conditions d’éligibilité uniformes. Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, avait reconnu qu'un travail était à effectuer pour simplifier l'accès aux aides à l'adaptation des logements, et s'était dite favorable à la création de MaPrimAdapt', sur le modèle de MaPrimeRénov'. Les acteurs du secteur attendent désormais impatiemment l’annonce du gouvernement concernant cette nouvelle aide qui viendra offrir une seconde jeunesse à ce marché de l’adaptation du logement.

3 Questions à 
Jean-Christophe Repon, président de la Capeb

Zepros : La transition démographique liée au vieillissement de la population représente-t-elle un objectif majeur pour le monde du Bâtiment ?

Image
Jean-Christophe Repon

Jean-Christophe Repon : Il s’agit même d’un élément essentiel et nous sommes en train retravailler autour de ce sujet en interne. Ce marché concerne de nombreuses entreprises, que ce soit à travers notre label Eco-Artisan avec le RGE ou encore nos label accessibilité Handibat et celui du maintien à domicile Silverbat. Ce dossier s’est accéléré, notamment en milieu rural, pendant la période du Covid-19. Les TPE ont un rôle majeur à jouer face au vieillissement de la population et pour le maintien des personnes à domicile car les particuliers ont une confiance totale envers les artisans et que nous travaillons généralement avec plusieurs générations de clients. Nous sommes en plein dans le rôle d’une entreprise de proximité pour rendre le quotidien des Français le plus agréable possible. Dans le même temps, nous constatons que le modèle des Ehpad n’est pas viable économiquement et peu honorable pour les anciennes générations. L’adaptation du logement est un secteur prioritaire pour le segment de la rénovation. C’est pour cela que nous continuons de militer pour une TVA à 5,5 % sur l’ensemble de la rénovation. Du coup, nous prendrions également en compte les travaux liés à la transition énergétique mais aussi à l’accessibilité du logement. Nos deux labels représentent encore un marché de niche. Les artisans répondent aux demandes de leurs clients mais ils ne vont pas l’organiser. Par contre, si ce marché devient prégnant pour eux avec des aides ou une TVA simplifiée, l’ensemble des artisans répondra présents. Nous sommes le premier réseau labellisé en France et nous sommes partie prenante depuis très longtemps. J’aimerais néanmoins que ce marché décolle totalement.

Zepros : Dans son livre blanc publié mi-février, la Capeb demande notamment au prochain gouvernement « une totale mobilisation sur des questions sensibles pour notre secteur comme l’accessibilité et le maintien à domicile de nos aînés ». Ce n’est pas le cas actuellement ?

Jean-Christophe Repon : Nous ne pouvons pas dire que la mobilisation est totale car le parcours des dossiers autour de l’accessibilité est trop complexe actuellement pour l’entreprise artisanale et le particulie. Tellement que, la plupart du temps, nos professionnels s’en détournent. Temps passé pour monter les dossiesr, délais de paiement à rallonge…,nous sommes confrontés à la même problématique que pour la RGE. C’est pour cela que nous plaçons beaucoup d’espoirs dans les prochaines annonces du gouvernement et notamment de MaPrimeAdapt’. Nous pourrions avoir un guichet unique avec une simplification des dossiers en rassemblant la totalité des aides sur le territoire tout en étant vigilant sur les fraudes et les fossoyeurs de ces primes. Aujourd’hui, pour une entreprise avec trois salariés en moyenne, ce secteur n’est pas une priorité mais presque une contrainte. Nous essayons de lever tous les obstacles actuels car il s’agit d’un marché d’importance, de proximité, qui correspond à nos entreprises. Il ne faut pas que cela nous échappe, il faut que nous soyons partie prenante, prescripteurs et investis. Le but étant d’avoir de plus en plus d’artisans labellisés Handibat et Silverbat. Le principal problème concerne les délais de paiement.

Zepros : En quoi consiste les Labels Handibat et Silverbat ?

Jean-Christophe Repon : Aider un marché peut permettre de le faire décoller. Pour cela nous avons mis en place ces labels, qui ne sont pas des qualifications. Handibat consiste à sensibiliser à la problématique du handicap au quotidien dans la vie de chaque particulier. Les professionnels sont souvent éloignés du monde du handicap. Nous les sensibilisons à toutes les applications disponibles dans leur corps de métier pour faciliter le quotidien de leurs clients. Nous faisons généralement intervenir un ergothérapeute accompagné d’un témoin handicapé qui vient témoigner de son quotidien. Nous prenons le temps pour provoquer cette prise de conscience. Nous avons également décliné cette formation pour l’accessibilité avec Silverbat. Nous l’avons même adaptée pour les jeunes en apprentissage sous le nom de Silverpass. Ce module permet aux apprentis de se former et de faire bénéficier leurs entreprises du label Silverbat. Nous travaillons avec eux et les nouveaux arrivants pour les éveiller à la “silver économie”, à l’accessibilité et au handicap. C’est un travail sur plusieurs générations. Aujourd’hui nous n’attendons qu’une chose : que le marché soit mature et identifié pour élargir nos troupes et répondre au quotidien aux besoins des particuliers sur l’ensemble du territoire.

Après MaPrimeRénov’, MaPrimeAdapt’'?

Image
Salle de bain

Dans un rapport remis en mai 2021 au gouvernement, Luc Broussy, spécialiste de l'économie des seniors, proposait 80 mesures pour accompagner le vieillissement sans forcément recourir aux Ehpad, dont la création d'une aide unique aux travaux d'adaptation des logements (douches à l'italienne, rampes, poignées, etc.). « L’objectif est d’avoir un système similaire à celui de MaPrimeRénov’ avec des aides dégressives en fonction des conditions de revenus, ouvertes à un public très large sans condition de GIR mais avec une condition d’âge universel. Nous souhaitons maintenir les 30 % d’acompte pour les entreprises du Bâtiment. J’ai également milité pour la création d’un label RG2A (reconnu garant de l’accessibilité et de l’adaptation des logements). L’objectif n’est pas de créer un nouvel RGE mais au moins la création d’une liste nationale de toutes les entreprises ayant suivi une formation reconnue par l’Etat. Ces propositions ont été remises à Jean Castex en janvier dernier pour arbitrage. Nous devrions avoir un retour en février », détaille Jean-Philippe Arnoux, directeur Silver Economie et Accessibilité chez Saint-Gobain Distribution Bâtiment France. Au moment où nous réalisons ce dossier, le gouvernement n’a toujours pas livré son verdict concernant les contours précis de cette prime. « Au 10 février, nous pouvons dire que MaPrimeAdapt’ devrait bien voir le jour pour limiter la multiplication des acteurs avec la création d’un guichet unique intégré à France Renov’. Les 30 % d’acompte devraient également être retenus. Le recours à un accompagnateur de travaux devrait également être obligatoire. Chaque Français, à partir de 70 ans, va pouvoir réaliser gratuitement un diagnostic d’un ergothérapeute financé par l’Etat. Cette personne va être chargée de conseiller les travaux à réaliser et d’évaluer l’autonomie. Le rattachement à France Renov’ va permettre de lister les entreprises capables de répondre à ces travaux et surtout à les former aussi bien techniquement qu’humainement », annonce Jean-Philippe Arnoux. Concernant le budget alloué à cette nouvelle prime, il devrait être compris entre 400 et 500 millions d’euros, toujours d’après le représentant de Saint-Gobain. Au moment de la remise de son rapport en mai, Luc Broussy expliquait que l’objectif, pour cette nouvelle mesure était d’atteindre entre 100 000 et 150 000 logements adaptés par an.

Des labels pour se positionner dès aujourd’hui

Les travaux d’adaptation des logements aux personnes à mobilité réduite sont un marché qu’il ne faut pas négliger. La Capeb et la FFB l’ont bien compris et ont développé les marques Handibat et Silverbat pour la première (il faut obligatoirement être Handibat pour demander Silverbat) et Les Pros de l’accessibilité pour la deuxième. L’objectif est de permettre aux artisans de se positionner sur ce créneau. « Notre label regroupe 19 000 salariés au travers de 600 entreprises. Ils sont formés avec des modules reconnus. Nous avons mis en place depuis trois ans un e-learning qui connaît un véritable succès. Il faut aussi que l’entreprise soit qualifiée dans son métier c’est-à-dire avec Qualifelec pour un électricien ou Qualibat pour un carreleur par exemple. Tous les quatre ans, nous demandons trois attestations de maître d’ouvrage », explique Jean-Charles du Bellay, chef de département à la Direction Technique de la FFB. Concernant Handibat, le processus de formation est similaire. Néanmoins, ces deux labels ne sont pas obligatoires pour profiter des aides proposées nationalement ou localement. « Si Ma Prime Adapt’ s’accroche à un ou plusieurs labels, nous nous mettrons en ordre de marche pour répondre à la demande des particuliers qui risque d’exploser. Aujourd’hui, Les Pros de l’accessibilité ou un autre label d’artisans, ce n’est que du volontariat de la part des professionnels », précise Jean-Charles du Bellay. En partenariat avec Saint-Gobain et Soliha, une association privée intervenant en faveur des personnes défavorisées, fragiles ou vulnérables sur deux axes : le maintien et l’accès dans le logement, la Capeb a mis en place les Trucks de l’autonomie. Cet outil, aménagé par des entreprises labellisées Handibat / Silverbat, va au contact des personnes âgées en présentant à la fois des équipements liés à l’adaptation du domicile mais aussi en distribuant les listes des entreprises labellisées dans les départements. A ce jour plus d’une dizaine de Trucks sillonnent la France. Une occasion pour les professionnels d’avoir des informations complémentaires autour des formations liés aux labels Handibat et Silverbat.

Innovations

Des fabricants déjà au rendez-vous

La population vieillit et les solutions permettant de maintenir une qualité de vie à domicile ne sont aujourd’hui plus perçus comme des gadgets et les fabricants n'ont pas attendu pour s'y mettre. Petite sélection de produits et fonctions proposés sur le marché : 

  • Fonctions standards de motorisation des volets roulants quand l'occupant ne peut plus utiliser la manivelle ou la sangle (nombreux fabricants d'appareillages électriques). 
  • Offres globales mixant détection automatique de chute et smart home (AS2D...).
  • Solutions centralisées de gestion de chauffage et de maîtrise des dépenses d'énergie (Icon, Ally, Link Connect de Danfoss; Tydom Dore ; ou encore EvoHome de Honeywell...). 
  • Solutions pour le remplacement d'une baignoire par une douche (Vinata de Roth ; Kinemagic Access de Kinedo...). 

« Souvent les travaux arrivent après une chute »

Image
Benjamin Adam

Travailler sur le marché senior est la plupart du temps un choix humain. C’est le cas pour Benjamin Adam, dirigeant de SDB Rénolution, société basée en Seine-et-Marne spécialisée dans les travaux à destination des seniors, des personnes en perte d’autonomie et des personnes handicapées. « J’ai travaillé 20 ans chez Roth France, dont 16 ans dans le management pluridisciplinaire c’est-à-dire les services commerciaux, techniques et logistiques. Progressivement, je me suis également orienté vers les produits et notamment la Vinata une cabine de remplacement de baignoire par une douche », détaille-t-il. Tout au long du lancement de ce produit, Benjamin Adam découvre le marché des seniors et leurs problématiques. Après une prise de conscience en 2018, il décidé de prendre de la distance avec l’industrie pour se recentrer sur l’humain et la technique. Touché par les difficultés que peuvent rencontrer les seniors souhaitant vieillir à leur domicile, Benjamin Adam lance son entreprise spécialisée en 2020. « Je travaille avec des organismes comme Soliha qui prennent en charge l’aspect financier. Ils envoient un ergothérapeute à domicile chez les seniors ou les personnes en perte d’autonomie. J’interviens après l’édition d’un rapport technique comprenant une liste de travaux pour l’adaptation de la salle de bains. Je n’ai pas de retard de paiement car Soliha joue le rôle de guichet unique mais ce n’est pas le cas sur tous mes chantiers », explique l’artisan labélisé Handibat et Silverbat.

Si Benjamin Adam voit le marché des seniors se développer ces dernières années, il pointe tout de même les retards administratifs avant le début des travaux d’adaptation du logement. « Toutes les personnes ayant conscience de leur état de vieillissement souhaitent rester chez eux. Ils souhaitent avant tout retrouver du confort et de la dignité car souvent les organismes mettent énormément de temps à traiter des dossiers. Les particuliers attendant parfois un an entre leur demande de travaux et une intervention », souligne-t-il. Enfin, le professionnel souhaiterait que les pouvoirs publics mettent en place une campagne nationale de prévention pour accentuer la prise de conscience des seniors sur la nécessité d’adapter leur logement. « Souvent les travaux arrivent après une chute. Il faut accélérer et accentuer le développement des aides pour inciter les seniors », déplore-t-il.

Jérémy Becam
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire