
Filière bois française : un potentiel sous-exploité, un cap à redresser

Alors que la France est l'un des pays les plus boisés d'Europe, sa balance commerciale dans le secteur bois affiche un déficit abyssal de 8,5 milliards d'euros. Pour comprendre ce paradoxe, la commission des affaires économiques du Sénat publie un rapport d'information intitulé « Une filière qui sort du bois ». Fruit de deux mois d'auditions et de visites de terrain, ce document dresse un diagnostic sans détour des faiblesses structurelles de la filière française – éclatement de la propriété forestière, déficit industriel, distorsions de concurrence – et avance 24 recommandations pour relocaliser la transformation, mieux réguler les usages et adapter l'industrie à la forêt de demain.
Le rapport sénatorial dresse le portrait d'une filière en transition, confrontée à des défis multiples : industriels, écologiques, sociaux, économiques. Si la France dispose d'un atout forestier majeur, sa valorisation reste insuffisante, faute d'un tissu industriel robuste et d'une stratégie de long terme.
Les 24 recommandations visent à restaurer la compétitivité d'un secteur stratégique, à l'heure de la transition écologique. Cela passera par un soutien renforcé à la transformation, une régulation mieux calibrée des usages du bois, une gestion plus dynamique des forêts, et une politique industrielle volontariste orientée vers la décarbonation.
Un matériau aux multiples débouchés, mais en manque de transformation
Le rapport distingue cinq grandes familles de produits issus du bois, illustrant autant d'opportunités de montée en gamme.
• Bois construction : la France accuse un retard industriel sur les bois techniques (lamellé-collé, CLT, etc.). Alors que la réglementation environnementale RE2020 impose une part croissante de matériaux biosourcés dans les constructions neuves, le Sénat recommande de poursuivre l'investissement dans la transformation du bois et de renforcer l'usage du bois dans la rénovation, notamment via des bonus territorialisés de MaPrimeRénov'.
• Ameublement : le secteur est lourdement déficitaire (-3 Md€) et victime du dumping des produits bon marché importés de Chine. Le rapport prône un encadrement renforcé, avec des contrôles accrus, une contribution logistique sur les colis importés, et un plan européen contre la concurrence déloyale.
• Palette, papier, granulés : ces usages industriels plus standards pourraient gagner en souveraineté par la relocalisation de certaines productions, à condition de mieux maîtriser les coûts de l'énergie, de soutenir l'usage du pellet en zones rurales, et de revaloriser la papeterie.
Un environnement économique et réglementaire à alléger
Les rapporteurs soulignent plusieurs freins structurels à la compétitivité des entreprises de la transformation du bois.
• Fiscalité et main-d'œuvre : le cadre socio-fiscal français est jugé peu incitatif. Il est recommandé de réorienter les exonérations de charges vers les emplois industriels et de renforcer les formations spécialisées sur le bois pour faire face à la pénurie de compétences.
• Inflation normative : deux réglementations récentes, sur la déforestation (RDUE) et la responsabilité élargie du producteur (REP PMCB), sont jugées contre-productives. Des ajustements techniques sont proposés pour éviter une distorsion de concurrence avec les autres matériaux ou pays.
• Assurabilité et normes de sécurité : certaines scieries rencontrent des difficultés croissantes pour s'assurer, en raison de normes comme le sprinklage obligatoire. Le Sénat propose de faciliter l'accès à des assurances alternatives et d'organiser des rendez-vous de simplification dans les territoires.
Par ailleurs, les investissements récents dans la modernisation des scieries (plus de 2 Md€ en trois ans) doivent être poursuivis, voire complétés par une provision pour investissement calquée sur le modèle allemand, afin d'encourager les petites et moyennes scieries à monter en gamme.
Des usages à réguler face à une ressource finie
La « ruée vers le bois » soulève une problématique de rareté. Le bois est une ressource renouvelable, mais finie à court et moyen terme. La demande s'intensifie – pour la construction, l'énergie, ou les carburants durables – au risque de déstabiliser les équilibres de la filière.
• Le rapport appelle à une planification des usages, à l'échelle nationale et régionale, via une meilleure prise en compte des avis des cellules biomasse.
• Il préconise d'ajuster les objectifs de récolte : non plus en volume global, mais en bois valorisé localement dans des usages à forte valeur ajoutée.
• Le principe européen de cascade des usages (priorité au bois d'œuvre, puis au bois d'industrie, puis au bois-énergie) doit être mieux appliqué, sans rigidifier inutilement les règles.
Adapter la transformation à une forêt en mutation
Contrairement à une idée reçue, la forêt française, majoritairement feuillue, est moins adaptée aux usages industriels standardisés que celle de l'Allemagne, composée de résineux homogènes et plus facilement exploitables.
Plusieurs obstacles structurants sont identifiés :
• Vente sur pied et opacité des prix en forêt privée.
• Morcellement de la propriété forestière, qui entrave la mobilisation du bois.
• Faible industrialisation des coopératives forestières, contrairement aux coopératives agricoles.
Le rapport recommande de renforcer la contractualisation, en particulier en forêt privée, et de favoriser la gestion collective des massifs plutôt que de miser sur un hypothétique remembrement.
Enfin, le changement climatique bouleverse les équilibres : sécheresses, attaques parasitaires (scolytes...) et dépérissement affectent déjà certaines essences. La priorité est donnée à la diversification forestière plutôt qu'à la sélection spéculative d'« essences d'avenir ». À l'industrie d'adapter ses outils à cette forêt changeante, via le plan « bois de crise » (stockage, transport) et l'innovation dans la transformation de gros bois ou d'essences secondaires.
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