Image
Pavé tok

Retards de paiement : un futur règlement européen nettement plus strict

Stéphane Vigliandi
Image
Sablier et délais de paiement.

La Commission européenne a présenté mi-septembre dernier une proposition de règlement qui rendrait obligatoire le délai de trente jours stricto sensu pour toutes dans les transactions commerciales inter-entreprises. Sans possibilité d’y déroger.

Partager sur

Lutter contre l’effet domino lié aux retards de paiement et remédier à une pratique jugée déloyale et qui peut mettre à mal la trésorerie des PME ! C’est le sens du texte présenté le 12 septembre 2023 par la Commission européenne. Son document d’une trentaine de page porte sur une « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales ».

Selon plusieurs études et évaluations menées par la Commission, environ 70 % des entreprises de l’Union européenne estiment qu’être réglées dans les délais leur permettrait aussi de payer leurs fournisseurs dans les temps.

Si la proposition de nouveau règlement est adoptée, elle viendrait remplacer l’actuelle directive datant de 2011. Contrairement à une directive, le nouveau texte serait directement applicable par les vingt-sept États membres – avec des dispositions identiques quel que soit le pays.

Un besoin de liquidités régulières

« Dans un climat de crises à répétition et de turbulences économiques, la question des délais de paiement est devenue encore plus prégnante et affectent en particulier les PME », convient volontiers en substance Marie Arnout, la présidente de la FDMC (Fédération des distributeurs de matériaux de construction).

Des PME qui, pour exercer leurs activités, ont forcément besoin de « liquidités prévisibles et régulières », rappelait d’ailleurs la Commission européenne dans une communication relative à un nouveau train de mesures de soutien aux PME et qu’elle a adressée au Parlement européen mi-septembre 2023.

Projet dans lequel sa mesure n°10 suggère d’« adopter un nouveau règlement sur les retards de paiement qui renforcerait substantiellement les règles de l’UE afin de lutter contre les retards de paiement dans les transactions commerciales ».

En se substituant à la directive de 2011, le futur règlement permettrait selon la Commission de combler le cadre juridique actuel de l’UE pour « lutter efficacement contre les retards de paiement ». Avec, à la clé, un paquet de « mesures préventives », une mise en œuvre jugée « efficace » et des mécanismes de recours facilement accessibles aux PME.

Au 3e trimestre 2023, 19 % des entreprises artisanales sont concernées par des besoins en trésorerie d’un montant moyen de 30 000 euros contre 22 000 euros il y a un an.
(Source : Capeb, note de conjoncture d’octobre 2023)

Délais maximal de 30 jours applicable à la lettre

Si la directive en vigueur fixe un délai de règlement de 30 jours civils pour les seules transactions interentreprises, elle prévoit aussi que ce délai peut être porté à 60 jours ou plus. À condition que « cela ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier ».

Pourtant, selon la jurisprudence, l’ambiguïté de la définition d’« abus manifeste » mentionné dans la directive induit parfois des délais allant au-delà des 120 jours et que les “petits” créanciers doivent souvent supporter.

Raison pour laquelle le projet de la Commission supprime, dans un nouvel article 9 (“Clauses contractuelles et pratiques nulles et non avenues”), la notion de « manifestement abusif ». En outre, une liste de « pratiques nulles et non avenues » serait établie.

À noter par ailleurs que l’État est aussi concerné par le projet. L’actuelle directive (art. 4.4 – a) prévoit des exceptions relatives à un délai de paiement maximal de 60 jours pour les Epic (établissements publics à caractère industriel ou commercial). Le futur règlement les supprimerait purement et simplement.

Au sein de l’UE, une facture sur deux en moyenne émise dans le cadre d’une transaction commerciale BtoB est payée avec retard, voire pas du tout. Les retards de paiement induiraient une faillite d’entreprise sur quatre, en majorité des TPE-PME.
(Source : Commission européenne)

Intérêts de retard : des doutes sur le paiement automatique

« Depuis la loi LME de 2008 [loi de modernisation de l’économie], notre profession respecte déjà les règles en matière de délais de paiement », assure Marie Arnout. Avant de préciser que « la LME génère environ 400 M€ par an de BFR ».

Si la FDMC estime que le projet de règlement est « positif sur le principe », le négoce doit pourtant jongler avec des trésoreries souvent tendues chez leurs clients artisans. Dans sa note de conjoncture du troisième trimestre 2023, la Capeb met d’ailleurs en évidence « des carnets de commande moins remplis (77 jours de travail à venir début octobre, soit 22 jours de moins qu’un an auparavant ».

Et signale au passage « un besoin croissant en trésorerie » avec « un solde d’opinion sur la situation de la trésorerie est défavorable (-13 points) en raison de la baisse d’activité et de l’allongement des délais de paiement des clients ».

Autre écueil « à éclaircir » d’après la présidente de la FDMC ? L’imposition d’intérêts et d’indemnités de retard dus que le projet de règlement veut rendre automatique et obligatoire.

Si les futures règles visent à mieux protéger les créanciers contre leurs débiteurs lorsque les conditions nécessaires sont remplies (voir encadré ci-dessous “Pénalités de retard & conditions”), elles relèveraient l’indemnité forfaitaire de 40 € à 50 € par transaction réglée tardivement pour l’aligner sur l’inflation. Celle-ci serait, là encore, due automatiquement (cf. article 8 du projet de règlement).

Des zones d’ombre à lever selon le négoce

Rappelant qu’en temps normal, les négoces ne font pas forcément payer les intérêts de retard à leurs clients, Marie Arnout juge que « cette nouvelle mesure risque d’être inapplicable en raison de la conjoncture compliquée dans le Bâtiment », tout en soulignant que « depuis longtemps, la notion de partenariat avec notre aval est importante et forte ».

Reste que, dans l’article 6.1 de son projet, la Commission précise que le taux des intérêts de retard correspondrait aux taux de référence de la BCE… majoré de 8 %. Autant dire, là aussi, difficilement concevable et applicable par les négociants dans le contexte économique actuel.

La Commission européenne suivra et évaluera les incidences des options retenues sur les retards de paiement quatre ans après l’entrée en vigueur du règlement proposé.

Tout comme en 2021 avec le début de la flambée du prix des matériaux, la FDMC s’est déjà rapprochée de l’Ufemat : l’organisation européenne de la profession qui représente dix-huit pays. Cette association doit demander à la Commission de lui fournir explications et éclaircissements sur un projet de règlement qui pourrait être soumis au vote d’ici à l’été 2024.

Si elles étaient adoptées par le Parlement européen et le Conseil, « les nouvelles règles deviendront applicables un an après l’entrée en vigueur du règlement, afin de permettre aux pouvoirs publics et aux entreprises de prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer », prévient la Commission.

Et de faire cette mise en garde : « Attention ! Les transactions commerciales effectuées après la date d’application du règlement seront soumises aux dispositions du règlement, même si le contrat correspondant a été conclu avant cette date ».

Pénalités de retard dues & conditions du paiement automatique

Selon le projet de nouveau règlement de la Commission européenne, le paiement des intérêts de retard dus serait « automatique et obligatoire » lorsque plusieurs conditions « nécessaires » sont réunies. À savoir :

• Articles 5.1 et 5.2. Le créancier a rempli ses obligations contractuelles et légales. À réception de la facture ou de la demande de paiement, le client BtoB dispose d’un délai contractuel ou légal de paiement de 30 jours maximum.

• Art. 5.2. En cas de retard de paiement, il n’incomberait plus au créancier de réclamer le paiement d’intérêts qui deviendrait une obligation automatique des débiteurs.

• Art. 5.3. Contrairement à la directive actuelle, les nouvelles règles prévoient que le créancier ne peut renoncer à son droit de réclamer des intérêts pour retard de paiement.

Toute disposition contractuelle ou pratique contraire serait jugée « abusive », « nulle et non avenue ». Et, par conséquent, dépourvue du moindre effet juridique.

Plans de mise en œuvre, modalités de suivi et d’évaluation

Selon la Commission européenne, « le degré de réussite de l’initiative sera mesuré en fonction de la réalisation des objectifs suivants » fixés dans son projet de règlement.

• Réduire de 35 % par rapport à 2022 la part d’entreprises signalant des retards de paiement comme un problème.

• Réduire de 35 % la proportion d’entreprises de chaque classe de taille (TPE, PME, ETI et plus de 5 000 salariés) qui déclarent les retards de paiement comme un problème. Là aussi, les progrès seront mesurés par rapport aux valeurs de référence de l’enquête de 2022 sur l’accès des entreprises au financement. 

Stéphane Vigliandi
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire