[Interview C. Possémé] « La FFB doit être un fédérateur d’idées pour la constellation du Bâtiment »
Christophe Possémé, premier candidat à s'être déclaré pour la prochaine élection à la présidence de la FFB dévoilera son programme officiel en janvier prochain. Président du Bâtiment Associé (Muizon, Marne), mais aussi actuel président des maçons de l’UMGO et de Constructys, il partage pour Zepros les sujets qui lui tiennent à coeur, sa vision de la FFB, et son parcours qui a forgé ses convictions de dirigeant et d’élu.
Christophe Possémé, vous êtes président des maçons de la FFB (UMGO) et vous venez d’annoncer votre candidature à la présidence de la Fédération. D’où vient cette volonté d’engagement ?
Christophe Possémé : J’ai grandi dans une famille où l’engagement allait de soi. Ma mère était investie dans le milieu associatif et mon père a longtemps été vice-président de la Fédération Française du Bâtiment, au service de la défense de nos métiers, Cela a sans doute contribué à mon envie de donner du temps, de m’engager. Tout comme mon Tour de France de Compagnon Maçon qui m’a fait voyager pendant sept ans à travers la France et l’Europe. On travaillait la semaine et le week-end, pour se perfectionner sur des maquettes, des chantiers humanitaires, ou de restauration de patrimoine Un engagement tourné à la fois vers l’apprentissage et la transmission du métier.
Aller vers ce métier de maçon était une évidence pour vous ?
C.P. : Oui. J’ai toujours voulu faire ce métier, j’y baigne depuis l’enfance. À 11 ans, j’étais déjà sur les chantiers pendant les vacances. Après le lycée, je suis entré chez les Compagnons. Je ne regrette rien.
J’ai terminé mon tour de France en 2002 et très vite, j’ai voulu m’ouvrir vers l’extérieur. Pour devenir chef d’entreprise, cette ouverture est essentielle : elle permet de prendre de la hauteur, de structurer sa vision, pour soi comme pour son entreprise.
Au début des années 2000, la FFB a lancé un travail de prospective à horizon 2015. L’Union de la maçonnerie a souhaité mener le même exercice. Et je suis entré dans ce groupe de réflexion qui pendant deux ans a rassemblé des jeunes, des anciens, issus de petites et grandes entreprises. Nous avons imaginé des scénarios d’évolution du métier : techniques, management, marchés… C’était passionnant. En parallèle, je progressais dans l’entreprise familiale.
Quelles fonctions occupiez-vous alors dans l’entreprise ?
C.P. : En 2002, mon père présidait l’entreprise et j’étais conducteur de travaux. En 2005, j’ai pris la direction du secteur gros œuvre : un poste très opérationnel, compatible avec mes deux journées mensuelles à Paris pour la Fédération. Puis les mandats se sont enchaînés : administrateur de l’Union de la maçonnerie en 2007, responsabilités départementales puis régionales. En 2011, je m’implique également dans Constructys Champagne-Ardenne. 2011 marque une étape personnelle importante : je deviens président de l’entreprise familiale, Le Bâtiment Associé, puis du groupe, que je rachète en 2013. La même année, je prends la présidence du Groupe Prospective et de la Commission Économie de l’UMGO, puis, en 2019, sa présidence.
Aujourd’hui, vous cumulez encore des responsabilités au sein de la profession. Comment conciliez-vous ces deux vies ?
C.P. : Je suis vice-président de la CCCA-BTP et président de Constructys. Depuis que j’ai repris Le Bâtiment Associé, j’ai beaucoup structuré et réorganisé l’entreprise, qui rassemble plusieurs activités. Je dirige aussi une société de travaux publics. L’équilibre se construit, car les deux responsabilités s’enrichissent mutuellement
Vous souhaitez devenir président de la FFB. Pourquoi vouloir aller plus loin ?
C.P. : J’ai 48 ans, ça fait plus de trente ans que je travaille. Je pense avoir franchi plusieurs étapes dans ma vie professionnelle. Le Bâtiment Associé compte aujourd’hui 200 collaborateurs et a triplé son chiffre d’affaires en 10 ans. Je crois avoir montré ma capacité à manager, à fixer un cap, à atteindre des objectifs, tout en préservant la rentabilité.
Du côté syndical, j’ai porté des mandats structurants. Pendant la crise du Covid, j’ai présidé la Commission Marché de la FFB : dialogue constant avec Bercy et les acteurs de la filière, pour défendre la profession en pleine pénurie, avec l’explosion des prix de l’énergie et des matériaux. Cette période m’a appris la réactivité et l’agilité.
À la tête de l’UMGO, j’ai voulu mener une présidence résolument politique, au bon sens du terme : celui de créer du lien au sein de la « constellation du gros œuvre » — industriels, distributeurs, cimentiers… Avec la RE2020, il fallait travailler ensemble et se comprendre. Ce n’était pas évident au début. Aujourd’hui, la filière minérale a beaucoup avancé et innove.
« De l’apprentissage sur les chantiers à la présidence de Constructys, mon engagement est resté le même : défendre nos entreprises, valoriser nos savoir-faire, préparer l’avenir de notre profession »
Concilier développement économique et développement durable est-ce une contrainte ou une opportunité ?
C.P. : Je considère depuis mes débuts que l’éco-construction et la bonne gestion de la matière sont une nécessité. Pour tous les sujets liés aux transitions durables il y a au moins une obligation de réflexion à avoir.
Le monde du Bâtiment doit porter cet effort pour l’intérêt général. Je suis heureux des progrès réalisés par la filière minérale, mais aussi avec les aciéristes. La trajectoire est lancée, même s’il reste du chemin. La montée en puissance des éco-matériaux et la mixité des matériaux s’imposent désormais aussi comme une évidence.
J’ai la chance d’être maçon de métier tout en dirigeant une entreprise qui construit aussi en bois. J’ai toujours défendu l’idée qu’il faut utiliser le bon matériau au bon endroit, sans dogme. La réussite passera par la mixité : métal, bois, agromatériaux, filière minérale, composites, matériaux issus du recyclage… Le champ de la R&D est immense. Nous ne faisons qu’entamer cette voie, et tant mieux : cette diversité rend nos métiers plus attractifs.
Quelle vision avez-vous aujourd’hui de la FFB ? Doit-elle jouer un rôle supplémentaire dans un contexte politique et économique perturbé ?
C.P. : La FFB, ce sont plus de 50 000 entreprises, de l’artisan au grand groupe. Elle est l’interlocuteur incontournable pour les pouvoirs publics et toute la chaîne de la construction : promoteurs, ESH, architectes, notaires, économistes… Mais, son rôle central reste l’accompagnement des entreprises : assistance juridique, sociale, technique, RH… avec un maillage territorial unique. Des milliers de textes encadrent la construction en France et en Europe. La FFB agit à tous les niveaux pour obtenir des évolutions utiles aux entreprises et à l’acte de construire.
On a vu ces dernières années une tentation de se passer des corps intermédiaires. C’est une erreur. Le paritarisme est indispensable pour écouter, désamorcer les tensions et maintenir le dialogue.
« La Fédération rappelle aussi une évidence : on va plus loin ensemble. La force collective reste une valeur sûre dans les moments difficiles. »
Dans une TPE-PME, on n’a pas le temps de prendre du recul. La taille moyenne des entreprises de la FFB est de sept salariés : chantiers, trésorerie, recrutement, investissements… les journées ne suffisent pas. La Fédération apporte cette prospective : anticiper l’évolution des matériaux, du numérique, de l’IA. Grâce aux permanents et aux chefs d’entreprise engagés, on identifie les tendances et on les diffuse sur le terrain.
C’est comme à l’UMGO, où nous fonctionnons par essaimage : l’un teste une innovation, puis partage son retour. Cela permet de franchir des caps. Le réseau fédéral est déterminant : on visite un confrère avant d’investir, on observe ses choix, ses machines, ses erreurs. Sans la FFB, je n’aurais jamais pu visiter autant d’ateliers avant de prendre certaines décisions d’investissements. Ce réseau d’entraide entre confrères, impossible entre concurrents directs, est l’une des grandes forces de la Fédération.
Quelle est la situation actuelle de vos adhérents ?
C.P. : La situation se durcit. D’abord, certaines entreprises qui ont remboursé leurs PGE reviennent à leur situation de 2019. Pour celles déjà fragiles, la consolidation du haut de bilan n’a pas eu lieu. Ensuite, les volumes d’affaires se tendent, les prix commencent à baisser : la moindre secousse devient un coup de massue.
La trésorerie, dans nos métiers, est structurellement négative : on paie fournisseurs et salariés avant d’être payés. Seuls les artisans travaillant pour les particuliers peuvent demander des acomptes. Construire de la trésorerie prend des années.
Il faut mieux former les chefs d’entreprise à la gestion du haut de bilan : préserver la rentabilité, capitaliser, créer des réserves. Une trésorerie solide amortit les impayés, soutient la croissance sans dépendre des banques.
Si vous étiez élu à la tête de la FFB, que souhaiteriez-vous améliorer ou développer ? Quelles priorités ?
C.P. : La Fédération fonctionne déjà. Mon objectif serait de renforcer la communication et la coordination entre les niveaux départemental, régional et national, pour créer un liant plus solide. Il faut capitaliser sur les initiatives locales, mutualiser les bonnes pratiques, être encore plus proche des adhérents et de leurs besoins spécifiques.
La FFB doit aussi être un fédérateur et un assembleur d’idées, capable de représenter l’ensemble de la constellation du bâtiment. Les axes clés sont : qualité de construction, décarbonation, qualité des matériaux, urbanisation et infrastructures. Avec le réchauffement climatique, il faut aussi penser à la ville de demain : îlots de fraîcheur, gestion des eaux pluviales, aménagement durable.
Un autre enjeu central est l’attractivité et les conditions de travail. A titre personnel, dans mon entreprise, j’ai mis en place un plan de progrès annuel pour améliorer l’ergonomie et la sécurité des collaborateurs, sur chantier comme en atelier. La santé des salariés doit guider les décisions opérationnelles et techniques.
Enfin, la transmission reste également un enjeu clé : former et accompagner les jeunes, investir dans leur apprentissage et leur progression, pour assurer la pérennité des métiers.
Justement, quel message aimeriez-vous transmettre aux générations qui entrent dans le métier ?
C.P. : Je leur dirais de se former, d’apprendre le métier sur le terrain, mais aussi de rester curieux et ouverts sur le monde. La construction évolue vite : nouvelles technologies, transition écologique, mixité des matériaux… Il faut savoir s’adapter tout en gardant les fondamentaux du métier. Et surtout, il faut y mettre du cœur : travailler bien, prendre soin de ses équipes et de ses clients, et comprendre que le bâtiment ne se limite pas aux chantiers, mais touche la vie quotidienne des gens. Mon message, c’est : construisez vos compétences, votre réseau, mais surtout, construisez votre profession avec passion et engagement.