Prenons soin de nos artisans… bordel ! L’électricien préféré tire la sonnette d’alarme
« Certains artisans jettent l’éponge, ferment leurs entreprises, renoncent à recruter, repartent dans le salariat, et pire… ils sont à bout de nerfs ! »
C’est le constat inquiétant de Nicolas Paul alias l’artisan électricien préféré. Sur LinkedIn, il a lancé cet appel « Prenons soin de nos artisans… bordel ! »
Chez Tokster, on connaît bien Nicolas, on a même souvent travaillé sur des projets communs. C’est une personne enthousiaste et positive. Alors on a voulu savoir pourquoi il a tiré cette sonnette d’alarme. Il répond sans langue de bois.
Des artisans jettent l'éponge !
J’ai 2 exemples à te donner qui, malheureusement, illustrent tes propos. D’abord un peintre que j’avais interviewé il y a quelques mois de cela. Il a jeté l’éponge et préféré retourner dans le salariat. Il ne manquait pas de projets et de clients, mais les conditions de travail et la charge administrative étaient devenues trop fortes.
Ensuite, Rémi Guérard, spécialiste de la rénovation des salles de bains, vit ses dernières heures en tant qu’artisan du bâtiment. Dans un long post sur les réseaux sociaux, il a expliqué pourquoi il a décidé de renoncer en pointant du doigt « un manque de conscience professionnelle. » Est-ce que toi aussi tu as d'autres exemples à nous citer ?
« J’ai croisé un ami électricien chez un fournisseur. Il avait un tee-shirt avec le nom d’une autre entreprise et je lui dis naïvement : « Tu fais de la pub pour la concurrence maintenant. » Et il me répond : « Non, pas du tout, je bosse pour eux ! J’étais fatigué, il fallait toujours faire les travaux pour hier et en plus, la plupart des clients me payaient en retard. Entre ce que je gagnais et le temps que je passais sur les chantiers, le jeu n’en valait plus la chandelle. C’était devenu trop stressant. ».
Un autre ami m’a dit que si sa situation financière ne s’améliorait pas ces prochains mois, il arrêterait les frais ! Il y a trop de sacrifices : tu travailles même le week-end, pendant tes jours de congés et quand tu es malade. »
Apprendre à dire non
On te voit beaucoup sur LinkedIn, TikTok ou encore Instagram, mais tu es surtout sur le terrain. Tu as donc souvent l’occasion d’échanger avec les autres artisans.
« Oui, je discute souvent avec mes confrères sur les chantiers, sur les réseaux sociaux, lors d’événements ou de salons, chez les fournisseurs et les négoces. Franchement, 90% des artisans que je rencontre, même ceux qui sont passionnés dans l’âme, en ont ras la casquette. L’un des artisans les plus réputés sur les réseaux m’a avoué que parfois il ne dort pas la nuit en raison de tous les problèmes qu’il peut avoir. »
Toi aussi Nicolas, je me souviens de l’un de tes messages sur LinkedIn qui exprimait ton désarroi.
« Oui, c’était avant les vacances d’été. J’ai eu un gros coup de mou. J’ai eu un sérieux contrecoup dû à une surcharge de travail. J’ai dit oui à tout le monde. »
Tu sais ce que dit Stéphane Aria sur ce sujet : « pour ne pas se faire bouffer dans la vie, il faut apprendre à dire non ! »
© Je sais bien, Stéphane est comme moi. Si je l’appelle parce que j’ai un problème sur un chantier, il va prendre sa camionnette et le lendemain, il sera là pour m’aider.
Cette année, ça va mieux. J’ai commencé par dire non à certaines propositions. »
L'impression d'être un mendiant
Est-ce que tu as eu d’autres soucis ?
« Oui, en 2023, j’ai eu un mal fou à récupérer l’oseille des chantiers ! J’avais l’impression d’être un mendiant. Bon, je n’ai eu aucun impayé, mais il a fallu batailler. Ce n’est pas normal. »
Quel message voudrais-tu faire passer aux clients qui font appel aux artisans du bâtiment ?
« Une fois que le travail est terminé et que le PV de réception est signé, tout est en ordre, le client est content, il faut solder la facture. C’est évident. J’ai l’impression d’être un banquier aussi. C’est comme si je devais moi leur avancer de l’argent ou leur faire un crédit en étalant leur paiement !
Quand tu vas au supermarché, tu ne leur demandes pas de payer dans deux mois, car avant tu dois goûter les produits que tu as mis dans ton caddie ! »
Tu as une petite entreprise près de Douai avec 2 salariés. Le recrutement est justement un problème majeur dans le bâtiment.
« C’est compliqué de recruter dans nos métiers. Les candidats sont de plus en plus exigeants. Si on les écoute, ils vont gagner le double du salaire du patron de l’entreprise ! Et puis, il y a ceux qui débarquent ici parce que c’est encore une voie de garage. Le travail ne les intéresse pas, ils ne sont pas motivés. C’est juste alimentaire pour eux. »
Trop de taxes dans la bâtiment
Ce ne sont pas des métiers de tout repos.
« Regarde, on est dans le froid depuis le début de la semaine. Quelques jours avant, on était sous la pluie, et il y a toujours du bruit, de la poussière.
L’artisan nouvelle génération ne veut plus comme ses prédécesseurs travailler 14 heures par jour, samedi et dimanche compris, sans prendre quasiment de vacances. Il a une famille, des loisirs et une vie en dehors des chantiers. C’est vrai dans le bâtiment comme dans les autres secteurs. »
Dans ces conditions, c’est difficile d’attirer des candidats. En plus, tu pointes du doigt un autre problème : les taxes.
« La filière du bâtiment est la filière la plus taxée en France. Un salarié dans le BTP, c’est 57% de charges pour le patron. Il y a la CIBTP, la PROBTP, la caisse des congés, etc. Et à la fin, c’est le client qui paie ! »
Et le coût des matériaux ?
« Les prix ont flambé, mais certains fabricants ont commencé à baisser les prix, car ils ne vendaient plus rien. »
La nouvelle image des artisans
On a parlé du côté obscur des métiers du bâtiment. De l’autre, on constate quand même que l’image des artisans s’est améliorée. Grâce aux artisans connectés comme toi, grâce aux interviews qu’on réalise avec Tokster pour mettre en valeur les artisans, grâce à des initiatives comme celle de Caroline Semin avec les talentueuses.
On était tous les deux à l’événement Tout Faire la semaine dernière. Ils ont lancé une campagne sans précédent pour célébrer les artisans.
Est-ce que tu ressens les effets positifs de toutes ces actions ?
« La filière du bâtiment est extrêmement dynamique. C’est super. La réputation de l’artisan a évolué dans le bon sens. On n’a plus cette image du gars en bleu de travail assez sale, pas très futé, au langage un peu primaire et qui parle avec son mégot de cigarette coincé entre ses lèvres. »
Oui, ça me fait penser à Jean Lefèvre dans le film « Le Magnifique » avec Jean-Paul Belmondo.
« Le niveau n’est plus le même. Il suffit de citer Laurent Aubel. De sa stratégie de communication à ses employés sur le terrain, tout est impeccable. Quand tu penses à Stéphane Aria aussi. Il réfléchit sans arrêt. Tu lui poses n’importe quel problème, il trouve une solution. Il a 4 cerveaux ! C’est eux l’image des artisans aujourd’hui. »