RE 2020 : gros changements en perspective, mais par paliers
Elle arrive à grands pas, annoncée depuis longtemps mais avec des règles énoncées seulement cet été pour une application au 1er janvier 2022. De quoi susciter de l’inquiétude. Zepros est allé scruter de toutes parts pour prendre la température. Chaud au final ? Pas tant que ça.
Ne l’appelez plus thermique, mais bien environnementale ! La future réglementation visant les bâtiments ne considère plus seulement la performance thermique pour abaisser les consommations : « La RE 2020 est nécessaire car la RT 2012 prenait mal en compte le confort de l’occupant, précise Joseph Cabon, directeur Opti+ de PointP. Elle avait été élaborée pour le confort d’hiver et pour limiter les consommations d’énergies du chauffage. Mais en été, cela a créé des logements inconfortables et trop chauds ». En effet, partout en France, notamment lors des épisodes caniculaires, les logements ont montré leurs limites. « Les maisons étaient construites les plus étanches possibles et cela a créé des pathologies, accentuées parfois par une ventilation peu performante, reprend Joseph Cabon. La RE 2020 va gérer l’inconfort d’été, ce qui est une principale avancée : nous aurons des maisons plus isolées, ce qui va impacter aussi les systèmes de chauffage. Pour y répondre, il faudra chercher de l’inertie, du déphasage afin de répondre à ce besoin en rafraîchissement ».
Dossier réalisé par Xavier Haertelmeyer
Trois nouveaux paramètres de la RE 2020
- Le calcul Bbio prendra en compte des besoins de rafraîchissement plus ou moins importants en fonction des caractéristiques de l’enveloppe du bâtiment et de son optimisation bioclimatique. Par rapport à la RT 2012, la nouvelle réglementation exigera -30 % sur le coefficient Bbio pour les logements.
- Les DH sont les "degrés heures d’inconfort" : les constructions devront respecter un DH inférieur à 1 250. Le DH représente la somme sur l’année du nombre d’heures en inconfort pondéré par l’écart à la température de confort adaptatif.
- Le coefficient d’incitation aux énergies renouvelables EgesEnergie sera limité à moins de 4 kg CO2/m².an pour les maisons individuelles, excluant de fait la mise en œuvre d’une chaudière gaz. À partir de 2024 ; le seuil sera de moins de 6 kg CO2/m².an pour les bâtiments collectifs.
« Les artisans ne vont pas gérer le bilan carbone. Il faut leur expliquer et leur prouver l’intérêt d’utiliser certaines solutions comme le photovoltaïque par exemple »
(Joseph Cabon, directeur Opti+ de Point.P)
En avoir peur ou non ?
Le confort d’été n’est qu’un paramètre de cette réglementation qui arrive à grands pas. Car son objectif final est de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour répondre aux attentes de l’Accord de Paris. Elle vise ainsi à réduire les consommations d’énergie et surtout à utiliser de l’énergie décarbonnée. « Le monde du Bâtiment est un gros consommateur d’énergie et producteur d’émissions de CO2, indique Nicolas Ferry, directeur marketing d’Isover et Placo. Nous sommes ainsi en première ligne pour changer les choses. La RE 2020 vise à poursuivre l’amélioration de la performance énergétique globale, engagée avec les précédentes réglementations, et réduire l’impact du bâtiment sur le climat, en y ajoutant le confort d’été ». Ainsi, le poids carbone d’un bâtiment neuf sera désormais calculé afin de connaître son impact sur l’environnement à sa construction et lors de sa durée de vie. Les fameuses ACV des produits et systèmes seront ainsi incontournables.
Que de nouveautés, que de changements, que de contraintes… « En fait, hormis les plombiers-chauffagistes qui voient la filière gaz d’emblée contrainte par cette nouvelle réglementation, les autres métiers ne devraient pas connaître de changement majeur avant 2025-2028, car cette réglementation se fera par paliers, signale François Turlaud, président du groupe Bastide Bondoux. Ces derniers vont continuer à utiliser des procédés qu’ils connaissent et qu’ils maîtrisent. Après 2028, les systèmes constructifs et les matériaux risquent de changer, sans qu’il soit certain pour autant que cela révolutionne leur métier ». De quoi lever les inquiétudes pour le 1er janvier prochain et s’assurer au moins de démarrer l’année 2022 par un bon réveillon.
LES CHIFFRES-CLÉS:
44 % de l'énergie est consommée en France par le secteur du Bâtiment (31 % pour les transports).
123 Mt de CO2 sont émis par le secteur du Bâtiment.
50 % : C'est l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre avant 2050.
9 kg CO2e/kWh : le bilan carbone d’un parpaing collé (contre 15 pour un parpaing maçonné).
+ 6 à 13 % : l’estimation de l’augmentation du coût pour une maison en RE 2020 (1 695 €/m2).
Du côté des distributeurs
« Ce qui change, c’est de parler de bilan carbone »
(Joseph Cabon, directeur Opti+ de Point.P)
« La RE 2020 ne va pas changer fondamentalement les habitudes de travail des artisans : un plancher va rester un plancher, poser une plaque de plâtre se fera de la même façon. Ce qui change, c’est de parler de bilan carbone. Cela ne va pas être pénalisant dans un premier temps dans les études mais à l’horizon 2025-2028, cela va le devenir. Il faut donc que les artisans commencent à s’habituer à travailler avec des produits avec des bilans carbone les plus bas possible. Par exemple, pour le parpaing, il faudra privilégier le parpaing rectifié au parpaing collé. Le bilan carbone d’un parpaing maçonné est autour de 15-16 kg CO2e/kwh contre environ 9 kg CO2e/kwh pour un collé qui ne nécessite pas l’emploi du sable et du ciment sur le chantier. Cela n’est pas négligeable à prendre en compte.
Il y a aussi l’utilisation des produits biosourcés : ils ne changent pas la donne en termes d’application mais en termes de tarifs, au niveau du fourni-posé. Nous devons ici accompagner les artisans face à ce nouveau produit, son coût et son temps de pose. Mais, il faut que l’artisan prenne conscience que le produit indiqué dans le CCTP est celui à poser. Cela risque de le bousculer s’il a l’habitude de travailler avec d’autres marques. Par exemple, les planchers : les pertes linéiques sont primordiales. On peut faire des économies très facilement en intégrant les bons paramètres dans l’étude thermique. Ensuite, il faut que le produit et le montage définis soient scrupuleusement respectés par le poseur. Les habitudes des maçons vont être modifiées par la RE 2020. Cela peut aussi revaloriser leur profession. Pour les plaquistes en revanche, la RE 2020 devrait être moins impactant. Ils pourront passer sur des produits biosourcés avec un lambda plus faible ou un R plus important, afin de ne pas perdre en surface habitable. Ils seront peut-être plus touchés par des systèmes peu habituels à mettre en place pour faire, par exemple, des plafonds rayonnants. »
Des accompagnements massifs pour les artisans
Les artisans et constructeurs proposent déjà de nombreux accompagnement face à l’arrivée de cette nouvelle réglementation. « Chez Point.P et DSC, des formations RE2020 ont été mise en place, d’abord pour former nos équipes afin que nos collaborateurs puissent répondre à toutes les questions et ensuite à destination des artisans dans nos agences ou de façon personnalisée », signale Joseph Cabon. Chez Isover et Placo, un kit RE 2020 est proposé « pour faire de la pédagogie accessible, précise Stéphanie Roche, responsable marketing, pôle marché bâtiment. Nous avons également sorti des“ antisèches” sur la RE 2020 afin que les professionnels soient à l’aise dans leur métier au quotidien ».
Du côté des bureaux d'études
« Prendre en considération le confort d’été est une bonne chose »
(François Turlaud, président du groupe Bastide Bondoux)
« Nous faisons partie des groupes de travail avec le ministère sur l’élaboration de cette réglementation. Mettre en place le bilan carbone en plus de la performance énergétique est une très bonne chose. Prendre en considération le confort d’été également. Nos bâtiments RT2 012 étaient performants mais pas assez réactif pour abaisser les températures. Les pouvoirs publics ont également entendu le besoin de progressivité : la RE 2020 fonctionne par paliers – 2022, 2025, 2028 et 2031 – avec des performances déjà annoncées sur ces paliers et des clauses de revoyure à ces dates. Cela donne de la visibilité aux acteurs et de l’anticipation. Ces points sont positifs. Cependant, annoncer son entrée en vigueur à la date du 1er janvier 2022 en précisant les outils de calcul à l’été 2021 est trop rapide. Et, sans vouloir se cacher derrière des excuses, en pleine période de crise en approvisionnement et coûts des matières premières, ses débuts demain ajoutent de la complexité au moment. Laisser un peu plus de temps serait souhaitable. Nous serions tous mieux préparés à sa mise en place au milieu de cet impact économique majeur. Et pour nous, bureau d’études, garants de la conformité de la construction à la réglementation, nous avons besoin d’un secteur plus contrôlé, avec une montée des compétences. Trop de bureaux d’études effectuent des études au rabais pour tirer les prix vers le bas. La RE 2020, dans sa partie bilan carbone, requiert le traitement d’une quantité colossale d’informations et certains, pour aller plus vite, risquent de couper court. La RE2020 est complexe et nécessite d’être bien traitée, avec un descriptif précis. Il faudrait que l’expertise des bureaux d’études soit mieux contrôlée ».
Du côté des fabricants
« Les solutions techniques existent déjà » (Nicolas Ferry, directeur marketing d’Isover et Placo)
« La RE 2020 va dans le bon sens : celui de conduire au développement d’un bâtiment plus vertueux, de qualité et plus confortable, des sujets que la marque Isover porte au quotidien. Les solutions techniques existent déjà. En isolation par exemple, au lieu de 100 ou 120 mm d’épaisseur, il faudra passer à 120 ou 140 mm. Nous allons aussi remettre à la lumière des gammes moins connues comme les isolants disposant d’un lambda 30, qui permettent de réduire les épaisseurs, ou les solutions de toiture plate pour maison individuelle – hygro+. Ce ne sera pas si compliqué et nous serons là pour accompagner les professionnels. Certes, cette RE n’est si simple avec ses nombreux indicateurs, tous interdépendants. Mais, c’est plus du ressort des bureaux d’études qui eux devront changer leur façon de voir.
Pour le bilan carbone, il faudra s’appuyer sur les FDES [fiches de déclaration environnementales et sanitaires] : elles sont la base de tout calcul pour les produits et systèmes. Elles existent pour toutes les grandes familles de produits et lorsqu’elles manquent, il existe des données par défaut. Les filières de recyclage mises en place, comme chez Placo depuis 10 ans ou sur nos laines de verre depuis 2 ans, pèserons également dans la balance, tout comme le fait de fabriquer en France, dans des usines de proximité. Notre travail de longue date et notre offre made In France permettent de répondre aux enjeux de la RE 2020 dès à présent sans perturber le marché par l’arrivée massive de nouveautés ».
Du côté des installateurs
« Pour les calculs, nous sommes déjà bien équipés en logiciels »
(Alexandre Dumont, co-directeur de Clim Man)
« J’avoue ne pas avoir eu le temps de me pencher sur les détails précis de la RE 2020 pour le moment. Pour mon métier de climaticien chauffagiste, je sais que le dimensionnement des machines sera à mettre en adéquation avec les nouvelles constructions. Cela ne m’inquiète pas, il faudra juste s’adapter, une fois de plus. Pour les calculs, nous sommes déjà bien équipés en logiciels et il y a aussi les bureaux d’études qui nous fournissent ces calculs en amont. Mais, nos logiciels aujourd’hui n’intègrent pas la RE2020. Il y aura le confort d’été à prendre en compte et ce sera le point le plus délicat. Pour la pose d’un gainable dans une habitation, la RT 2012 imposait de le bloquer en chaud. Maintenant, les paramètres vont changer car ils pourront aussi fonctionner en rafraîchissement. Il faudra entrer la consommation énergétique annuelle supplémentaire de froid dans les lignes de calcul. D’ailleurs, en parlant de gainable, nous allons pousser ces systèmes dans le collectif neuf plutôt que les chaudières individuelles gaz ou le tout électrique, parce que les promoteurs recherchent l’économie d’échelle et c’est ce qu’il y a de plus rentable pour eux. Avec l’arrivée de la RE2020, ils vont de toute façon abandonner le gaz. Et ces systèmes peuvent être très vendeurs chez le client final qui, lui, recherche avant tout le confort, que ça fonctionne correctement et que son système consomme un minima. Lui, la RE, il s’en moque complètement ».