
Retrait-gonflement des argiles : un chantier complexe dans une maison patrimoniale

Le vaste chantier de cette maison briarde bicentenaire, durement touchée par le retrait-gonflement des argiles, s’achève enfin. Entre expertise judiciaire, bras de fer assurantiel, reprise en sous-œuvre et remise en état, retour sur une affaire longue et technique, mais menée dans le respect du patrimoine et avec des matériaux sains et naturels pour le réaménagement.
À l’automne 2018, après un été marqué par une sécheresse exceptionnelle, les premiers signes inquiétants apparaissent dans cette maison bicentenaire située sur les coteaux de la Marne : des fissures se forment en l’espace de deux mois, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Certaines sont suffisamment importantes pour nécessiter des renforts provisoires. Les propriétaires, inquiets, alertent assurance et mairie, laquelle constate des dégâts similaires dans d’autres habitations du secteur.
En 2019, l’État reconnaît officiellement l’état de catastrophe naturelle dans la commune. Une reconnaissance qui, paradoxalement, ne simplifie pas le parcours des sinistrés. « Notre assurance nous a d’abord dit que c’était normal pour une maison ancienne et a refusé d’effectuer une analyse des sols, indispensable pour déterminer s’il y avait réellement un problème lié à l’argile », expliquent les propriétaires. Forts de leurs connaissances en bâtiment et exaspérés par l’attitude de leur assureur, ils font appel à un avocat.
Après quatre années de procédure, une expertise judiciaire indépendante établit un lien direct entre les désordres observés et le phénomène de retrait-gonflement des argiles. La leçon : « Ce n’est pas parce qu’une maison est ancienne que les désordres sont forcément liés à cette ancienneté, ils peuvent tout à fait survenir en raison de facteurs extérieurs. Donc, il faut faire valoir ses droits, ne pas hésiter à consulter un avocat spécialisé, surtout lorsque le bien se trouve en zone rouge argile (voir le site georisques.gouv.fr) et en cas d’arrêté de catastrophe naturelle. »
Une maison sans fondation sur un sol instable
La bâtisse, dont les premières traces remontent à la fin du XVIIe siècle, repose directement sur un lit de pierres, sans fondation profonde. Ce type de construction traditionnelle restait efficace tant que le sol demeurait stable. Or, les variations d’humidité provoquées par les épisodes de sécheresse et de fortes pluies font gonfler ou rétracter les argiles du sous-sol – blanches, vertes ou brunes –, entraînant des mouvements différentiels du bâti.
Des études géotechniques détaillées sont menées pour identifier un sol porteur, situé entre 12 et 15 mètres de profondeur. Les injections de résine s’avérant inadaptées, la solution retenue est celle des micropieux. Au total, cinquante-six qui sont forés sous les murs porteurs, intérieurs et extérieurs, puis injectés de béton armé. Une opération complexe rendue encore plus difficile par la nature instable et parfois saturée en eau du sous-sol, ainsi que par l’épaisseur des murs, parfois supérieure à un mètre.
Longrines et planchers désolidarisés
Une fois cette étape réalisée, les équipes mettent en place des longrines béton sous l’ensemble des murs, formant ainsi de nouvelles fondations. Les têtes de pieux y sont noyées pour assurer une répartition homogène des charges. Le travail est réalisé par tranche de 1,5 mètre, avec stabilisation préalable des murs et des ouvertures.
Troisième et dernière phase de cette reprise en sous-œuvre, la pose d’un plancher désolidarisé, de type poutrelles-hourdis, avec isolation thermique en sous-face, comme dans les constructions neuves. Objectif : isoler le bâti des mouvements du sol. Les fissures seront ensuite rebouchées.
Démarrés en avril 2024, les travaux de gros œuvre ont été menés en huit mois, le second œuvre et finitions intérieures a démarré début 2025. En revanche, la restauration des enduits de façade – en plâtre et chaux conformément à la tradition locale – n’interviendra qu’au printemps 2026, une période de stabilisation de la structure d’environ dix-huit mois étant requise.
Performance énergétique et respect du bâti ancien
Le coût du chantier illustre l’ampleur de l’opération : 360 000 € pour les fondations et le gros œuvre, 334 000 € pour le second œuvre, les enduits et les finitions. Au total, près de 700 000 € pris en charge par l’assurance, sans compter les frais annexes (déménagement, relogement pendant plus d'un an, réfection de toiture, etc.) assumés par les propriétaires.
Ces derniers ont également veillé à mener une rénovation compatible avec le bâti ancien, tout en visant des économies d’énergie. Un impératif, l’ensemble des doublages (combles, murs intérieurs, rez-de-chaussée) ayant été purgé. Ce sont des matériaux biosourcés qui ont été retenus, car capables de réguler l’humidité tout en assurant une bonne isolation thermique, été comme hiver.
Dans les combles, il s’agit de l’isolant ThermoSoft Natura développé par Knauf. Fabriqué en France à partir de fibres végétales recyclées (coton, lin et jute), celui-ci répond aux enjeux de préservation des ressources et, bien sûr, de réduction des consommations énergétiques. Le coton assure l’isolation thermique et acoustique, ainsi que la régulation de la vapeur d’eau. Le lin et la fibre de jute renforcent, quant à eux, la rigidité et la régulation hygrométrique du matériau. Le produit affiche un lambda de 0,038 W/m.K et une densité élevée de 40 kg/m³.
Les murs donnant sur l’extérieur, eux, sont isolés par l’intérieur à l’aide de blocs de chanvre, enduits ensuite au plâtre selon les pratiques traditionnelles de ce type d’habitat. Ces blocs permettent de maintenir une température intérieure constante grâce à leur capacité à diffuser la chaleur accumulée (résistance thermique de 1 à 5 m².K/W et conductivité thermique de 0,071 W/m.K). Ils contribuent également à la régulation de l’humidité en raison de leur perméabilité à la vapeur d’eau, et améliorent le confort acoustique en absorbant les bruits (affaiblissement acoustique de 37 à 45 dB).
Ces choix démontrent qu’il est possible de concilier réparation structurelle, performance énergétique et respect du patrimoine… À condition d'être combatifs et patients !
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